Crise anglophone au Cameroun: l’appel de l’ex-porte-parole indépendantiste Capo Daniel est «un pas dans la bonne direction»

Crise anglophone au Cameroun: l’appel de l’ex-porte-parole indépendantiste Capo Daniel est «un pas dans la bonne direction»

Capo Daniel, ancien responsable des Ambazonia Defense Forces qu’il a quittés en 2023, plaide aujourd’hui depuis son exil pour le cessez-le-feu et des négociations directes avec Yaoundé non pas sur l’indépendance, mais sur une autonomie des deux régions anglophones. Grande voix de la société civile anglophone, l’avocat camerounais Me Nkongho Félix Agbor Balla, directeur du Centre pour les droits humains et la démocratie en Afrique, est notre invité. 

RFI : Nkongho Félix Agbor Balla, comment accueillez-vous les déclarations de Capo Daniel ?

Nkongho Félix Agbor Balla : Ce que Capo Daniel a fait, c’est un pas dans la bonne direction.

C’est ce que la plupart des habitants modérés des régions anglophones demandent aux groupes armés de faire : appeler à un cessez-le-feu, déposer les armes et voir comment nous pouvons amener le gouvernement à s’engager dans des négociations plus sérieuses et plus globales, parce que les victimes sont les civils anglophones.

Ceux qui disent vouloir défendre les droits des anglophones sont devenus ceux qui les bafouent.

Si les groupes armés écoutent les gens, ce que les gens veulent, c’est ça : que les groupes armés, comme Capo Daniel, appellent à déposer les armes, à abandonner la lutte armée, à essayer d’engager des discussions avec le gouvernement.

Est-ce que sa déclaration peut avoir un réel impact ?

Vous savez, Capo Daniel a été un acteur majeur de la lutte armée. Il était le porte-parole des Ambazonia Defence Forces (ADF) et nous connaissons tous le rôle que les ADF ont joué en termes de violences, d’atrocités et de propagande.

Oui, il est tombé en disgrâce au sein des ADF. Il n’a peut-être plus l’influence qu’il avait auparavant, mais cela reste une voix qu’il faut prendre au sérieux.

Chaque jour, lorsqu’une personne quitte la logique armée pour rejoindre le camp des modérés, ceux qui veulent une résolution pacifique du conflit et qui sont contre la violence, cela donne plus de voix à notre plaidoyer pour la non-violence comme solution.

Est-ce que vous pensez qu’il peut avoir un agenda plus personnel, pour se protéger et ne pas avoir à rendre des comptes en cas d’extradition pour les faits commis par les ADF ?

Vous savez que dans un conflit, les gens changent de position en fonction de la réalité. Je ne sais pas s’il a un agenda personnel, mais lorsque vous avez été impliqué dans un groupe qui tue, kidnappe, demande des rançons, au bout d’un moment, votre conscience vous titille. Et vous commencez à vous poser des questions. Surtout si, en interne, au sein du mouvement auquel vous appartenez, vous essayez d’apporter des changements et vous découvrez que les dirigeants sont déterminés à mener une mission suicidaire sans aucune raison. Il se pourrait aussi qu’un jour il y ait un tribunal qui demande des comptes à ceux qui ont commis les crimes les plus graves.

Il pourrait donc s’agir d’un agenda personnel pour Capo Daniel.  Mais je regarde la situation dans son ensemble. Moi-même, j’ai été la cible de sa propagande et de celle de ses collègues qui réclamaient à grands cris que je sois kidnappé ou que je sois tué. Ils m’ont considéré comme un traître. Malgré cela, je leur parlais toujours et j’essayais de les convaincre que nous devions suivre une approche non-violente et pacifique pour mettre fin au conflit.

Beaucoup d’anglophones ont soutenu la lutte armée, les groupes armés, mais ne les soutiennent plus. Cela démontre clairement que les gens ont pris conscience que la rhétorique incitant à la violence et à la haine contre les francophones ne fonctionne pas. La seule chose raisonnable à faire est de déposer les armes et de voir comment nous pouvons construire ensemble.

Que répondez-vous à ceux qui disent qu’il fait le jeu du gouvernement de Yaoundé ?

Vous voyez, le problème, c’est que les gens ont toujours une théorie du complot. Quand vous ne pensez pas comme eux, ils pensent que vous êtes acheté par le gouvernement.

Je ne suis pas en faveur de ce que fait le gouvernement. Les gens qui critiquent le mouvement séparatiste, ils ne soutiennent pas le gouvernement, ils soutiennent le peuple du Cameroun anglophone. Parce qu’ils savent que ce conflit n’a pour résultat que la mort.

Je ne peux pas parler pour Capo Daniel. Mais les séparatistes doivent se poser des questions. Pourquoi tant de gens ne les soutiennent plus ? Ils doivent s’interroger et pas accuser les autres.

Qu’est-ce que vous espérez de concret après cette déclaration de Capo Daniel ?

Le gouvernement devrait saisir le rameau d’olivier tendu et continuer à encourager les groupes armés à aller dans ce même sens, leur faire comprendre que la solution n’est pas militaire. Le gouvernement doit en profiter pour tenter de conquérir les esprits et les cœurs des peuples des régions anglophones, et essayer de mettre en place des mesures inclusives, encourager les leaders séparatistes à déposer les armes, se tenir prêt à accorder la clémence, l’amnistie à ceux qui ne soutiennent pas la lutte armée, à ceux qui veulent sortir de leurs rangs et appeler à la paix, comme ça, ensemble, nous pouvons construire un Cameroun plus fort avec les deux peuples.

Capo Daniel demande des négociations avec le gouvernement, non plus sur la base d’une revendication d’indépendance, ni de séparatisme, mais d’autonomie…

C’est ce pour quoi nous plaidons, nous, défenseurs des droits humains : le fédéralisme ! Une autonomie fédérale serait la panacée. Je suis heureux qu’un ex-propagandiste du mouvement séparatiste prêche à son tour pour l’autonomie. Nous continuerons à défendre cela. Et j’espère que la plupart des gens renonceront à la violence, renonceront à l’indépendance et œuvreront pour une véritable autonomie, qui apporterait une forme d’autonomie régionale pour que les gens puissent gérer leurs ressources, leurs communautés.

Avec la présidentielle à venir en 2025, pensez-vous que les lignes peuvent bouger ?

Non, je ne pense pas. Ça ne bougera qu’après les élections. Les gens au pouvoir ont leurs priorités. Leur priorité, c’est rester au pouvoir. Chercher une solution à la crise anglophone, ce n’est pas la priorité. Si une solution est trouvée, ce sera après la présidentielle.

Il faut voir les choses sur le long terme. Le régime de Paul Biya qui réagit sous la pression. Il faut attendre. Mais ça ne veut pas dire que l’on doit dormir. Nous devons continuer nos démarches, expliquer aux députés, aux sénateurs, aux partenaires que nous devons trouver une solution.

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