Quarante ans après le « Tchernobyl » indien, les comptes non soldés de Dow Chemical en Inde

Quarante ans après le « Tchernobyl » indien, les comptes non soldés de Dow Chemical en Inde

22 000 personnes décédées

La fuite de gaz dans l’usine de pesticides, qui appartenait alors à Union Carbide, avait tué plus de 22 000 personnes et contaminé un vaste quartier au cœur de Bhopal, dans le centre de l’Inde. Puis Union Carbide avait été racheté par Dow Chemical en 2001. La pollution engendrée par les produits chimiques stockés sur place a touché des dizaines voire des centaines de milliers de personnes ces dernières décennies. Cancers, malformations génitales, anémies… La liste des pathologies observées dans la population est longue. “Cette catastrophe garde un caractère immédiat et urgent pour ceux dont la santé est ruinée. Il y a notamment des enfants qui sont nés avec un handicap ou qui sont empoisonnés encore aujourd’hui par la terre et l’eau contaminées”, a expliqué Mark Dummett, le directeur du programme Entreprises et droits humains à Amnesty International.

Trente ans après la catastrophe, le site désaffecté continue de tuer. L’Etat veut ménager la multinationale américaine au détriment des victimes. Reportage.

En 1989, la Cour suprême indienne avait condamné Union Carbide à 470 millions de dollars d’amende. Une peine si légère que le jour du verdict, l’action du groupe avait grimpé de 7 % en Bourse. Sous la pression des victimes, les autorités avaient déposé un recours en 2010 devant la Cour suprême pour demander 1 milliard de dollars d’indemnité.

La complicité du gouvernement indien

La plus haute instance judiciaire du pays a rejeté cette requête en mars 2023 en pointant du doigt la passivité du gouvernement. Les magistrats ont noté dans leur arrêt que les autorités avaient bâclé la prise en charge des victimes, mais aussi omis de contenir la pollution autour de l’usine et de nettoyer le site. “L’Union indienne ne peut pas faire preuve de négligence sur cet aspect puis se tourner vers cette cour pour faire porter la responsabilité sur Union Carbide”, ont argumenté les juges.

Les associations d’aides aux victimes ont d’autant plus de mal à obtenir gain de cause que le pouvoir indien n’a jamais caché son souhait de voir Dow Chemical accroître ses investissements en Inde. Le Premier ministre Narendra Modi s’était affiché tout sourire aux côtés de son PDG Andrew Liveris lors d’une visite officielle aux États-Unis en 2015. Son prédécesseur Manmohan Singh n’avait pas été plus ferme. Dans une note d’avril 2007, ses services indiquaient qu’“étant donné les investissements potentiels, il faut cesser d’agiter ces questions devant la justice. ”

Il y a 20 ans, une fuite de gaz toxique à l’usine américaine de pesticides Union Carbide de Bopal, dans le centre de l’Inde, faisait des milliers de morts, devenant le plus grand accident industriel de l’histoire, qui continue de ravager des centaines de milliers de vies.

Dans ce contexte, Dow Chemical ne se sent guère responsable de la pollution à Bhopal. Amnesty International, qui a sollicité le groupe avant la publication de son rapport, s’est vu répondre : “Dow Chemical Company n’a jamais été propriétaire ni gestionnaire du site qui appartenait à Union Carbide. Et Union Carbide est devenu une filiale de Dow douze ans après que l’accord de réparation de 470 millions de dollars a été approuvé par la Cour suprême. ”

De nouvelles procédures judiciaires

Rachna Dhingra, la coordinatrice du Bhopal Group for Information and Action, relève avec amertume le double langage de Dow Chemical. L’entreprise “a fourni la ville de Flint, dans le Michigan, en eau potable après une pollution [au plomb entre 2014 et 2016]. Mais quand il s’agit de Bhopal, elle ne fait rien pour nettoyer ses déchets toxiques. ”

La jeune femme garde espoir malgré tout. L’arrêt de la Cour suprême l’an dernier n’a pas refermé le dossier. “Une procédure judiciaire est en cours pour forcer la société à nettoyer les déchets toxiques encore présents. En outre, la justice a été saisie pour que Dow Chemical indemnise la population qui a été empoisonnée en buvant l’eau de la nappe phréatique contaminée ces dernières années.” Le Bhopal Group for Information and Action a également lancé une procédure criminelle contre le groupe américain. L’affaire est en cours d’examen par un tribunal de Bhopal.

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