« La France et l’Algérie sont indissociables pour moi. Je n’aime pas cette injonction à devoir choisir »

« La France et l’Algérie sont indissociables pour moi. Je n’aime pas cette injonction à devoir choisir »

Tous les jours, une personnalité s’invite dans le monde d’Élodie Suigo. Mardi 19 mars 2024 : La comédienne, chanteuse et auteure, Rachida Brakni. Elle publie son premier roman, un hommage à son père, « Kaddour » aux éditions Stock.

L'artiste Rachida Brakni publie livre son premierlivre"Kaddour" aux éditions Stock. (FRANCE INFO / RADIO FRANCE)

En 2017, le journal Libération écrivait en parlant de Rachida Brakni : « Si l’énergie et le talent étaient des délits, Rachida Brakni serait mise en examen pour recel« . Force est de constater, à travers son parcours d’artiste pluridisciplinaire, actrice, metteuse en scène, auteure, chanteuse, qu’effectivement elle possède ces deux qualités. Après avoir été pensionnaire à la Comédie-Française, le grand public et le métier l’ont découvert, adopté, célébré en 2002 avec ses rôles de Noémie et Malika dans Chaos de Coline Serreau, avec à la clé le César du meilleur espoir féminin. Mardi 19 mars, elle vient en tant qu’auteure avec un livre bouleversant. C’est son premier, Kaddour aux éditions Stock.

franceinfo : Kaddour, c’est le prénom de votre père. Est-ce que c’est une façon pour vous de le laisser encore un petit peu dans le monde des vivants ?

Rachida Brakni : Oui, d’ailleurs, je n’aime pas cette expression faire son deuil. Il y a quelque chose qui enferme. Alors que mon père, depuis qu’il est parti, on continue à dialoguer l’un avec l’autre.

« La mort n’est pas quelque chose qui met un terme à une conversation, mais au contraire, elle se poursuit différemment ».

Rachida Brakni

à franceinfo

Donc je pense qu’il y a de ça, évidemment, et puis aussi la reconnaissance que j’ai à son égard, et je ne serais pas la femme que je suis sans avoir eu la chance de rencontrer cet homme.

Je voudrais que vous me racontiez ce père, ce héros car il a eu une vie extraordinaire. C’est ce que vous avez découvert d’ailleurs après sa mort, en retournant en Algérie.

C’est une vie à la fois extraordinaire et somme toute banale. Un travailleur acharné qui a perdu ses parents à l’âge de sept ans. Il s’est retrouvé à la rue et il a quitté l’Algérie à l’âge de 18 ans pour travailler, pour une vie meilleure. Il a été ouvrier sur des chantiers jusqu’à passer son permis poids lourd et devenir un routier qui sillonnera la France tout au long de sa vie jusqu’à ce que son corps finisse par lâcher. Avec en plus, « la douleur de l’exil » qui a été celle de mon père et qui est inhérente à tous ces travailleurs immigrés.

Et puis, par ailleurs, ces hommes qui sont dans une espèce de zone grise où ils ne sont plus de là-bas et ils ne se sentent pas complètement d’ici, parce que tout concourt à leur rappeler qu’ils ne sont pas Français. C’est cette zone grise qui m’a intéressée et qui me bouleverse parce que cet homme a fait des enfants, français, en l’occurrence moi, et comment je me suis construite par rapport à lui, mais aussi par rapport à mon identité et à son histoire.

Certaines générations ont honte de leurs racines, ça n’a jamais été votre cas. Vous avez été très vite très mature, vos parents étant analphabètes, vous êtes devenue à dix ans la cheffe de famille administrative. Quelle place occupe l’Algérie dans votre cœur ?

C’est la terre de mes parents. Mes racines prennent leur source en Algérie, mais mon arbre et le tronc que je suis et qui a pu se déployer, c’est en France, donc la France et l’Algérie sont indissociables pour moi. Je n’aime pas cette injonction à devoir choisir. Au contraire, je trouve que c’est une force. J’avais un professeur d’histoire au collège, Monsieur Noël, à qui j’avais écrit lors de vacances en Algérie : « Je ne comprends pas. En France, on me ramène toujours à mon identité algérienne. Et là je suis en vacances en Algérie, on m’appelle également l’immigrée« , donc pardon pour l’expression, mais « j’ai l’impression d’avoir le cul entre deux chaises« . Et il m’a répondu en m’écrivant une très belle lettre : « Tu as beaucoup de chance, contrairement à d’autres, tu as deux chaises« . Et voilà, cette image, cette métaphore m’a accompagnée toute ma vie.

Quand vous avez été reçue et que vous êtes devenue pensionnaire de la Comédie-Française, à quoi avez-vous pensé à ce moment-là par rapport à cette histoire familiale ?

Une immense fierté parce que j’étais la première, ce qu’on appelle d’origine maghrébine, à rentrer à la Comédie-Française et donc rentrer dans cette prestigieuse maison, c’était un cadeau extraordinaire.

« J’étais fière et heureuse de porter ce nom : « Brakni », qu’il s’inscrive dans cette longue liste des grands acteurs de la Comédie-Française ».

Rachida Brakni

à franceinfo

Puis il y a eu Chaos qui parlait justement de l’Algérie. Grosse fierté aussi pour ce César ? Comment l’avez-vous partagé avec vos parents ?

Par rapport à mon métier d’actrice, mon père et ma mère n’ont jamais vraiment compris ce que c’était. Alors évidemment, ils m’ont toujours encouragée. Mais pour mes parents, il n’y avait que le C.D.I. À chaque fois que je travaillais avec un metteur en scène, c’était : « Il est content de toi« , en gros « Il va te proposer un C.D.I » Et donc à la Comédie-Française, quand je leur ai annoncé que j’étais nommée, ils m’ont dit : « Ah, c’est très bien, mais encore un examen ? Quand est-ce que tu vas en finir avec les examens ? » Au fond, ce n’est pas faux, ça reste un énième concours qui vous éprouve et qui vous teste et qui vous juge.

Que gardez-vous de votre père le plus en vous ?

L’humour et cette anecdote où une voisine était venue à la maison pour mettre en garde mon père parce qu’elle m’avait vu discuter avec des garçons. J’étais un peu terrorisée parce que je me disais : comment va-t-il réagir ? Et mon père l’a laissée terminer et avant de lui claquer la porte au nez, il lui a dit : « Je ne sais pas de quelle fille vous parlez, je n’ai que des garçons » et ça, c’est peut-être un des plus beaux cadeaux qu’il m’ait fait.

Retrouvez cette interview en vidéo :

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