En Inde, le cricket, arme idéologique de Narendra Modi

En Inde, le cricket, arme idéologique de Narendra Modi

LETTRE DE NEW DELHI

Le premier ministre indien, Narendra Modi, salue la foule debout à côté du vice-premier ministre australien, Richard Marles (à droite), après que l’Australie a remporté la finale de la Coupe du monde de cricket masculin ICC contre l’Inde à Ahmedabad, en Inde, le dimanche 19 novembre 2023.

Il avait tout prévu. Il est arrivé un peu avant la fin du match, dans un stade qu’il a fait baptiser de son propre nom. Le stade Narendra-Modi à Ahmedabad, présenté comme le plus grand au monde avec ses 130 000 spectateurs, est situé dans son fief, le Gujarat. Le premier ministre indien portait une tunique et une écharpe bleues, aux couleurs des champions. Mais voilà, le scénario élaboré depuis des mois a vrillé pendant l’épilogue. L’Inde, pays hôte de la Coupe du monde de cricket, s’est inclinée en finale de la compétition face à l’Australie, dimanche 19 novembre, privant le premier ministre indien d’un moment d’hubris.

Comme tant d’hommes politiques ici et ailleurs, Narendra Modi avait espéré une victoire à domicile pour gonfler sa popularité à quelques mois des élections générales, lors desquelles il briguera un troisième mandat. Jusqu’à la finale, le parcours de l’équipe indienne fut un sans-faute. Pas une défaite. Dix victoires. Le quotidien Hindustan Times avait évoqué une « équipe indienne impériale, démolissant tous ses adversaires avec une allure de gladiateur ». Les pro-Modi célébraient déjà l’Inde resplendissante, que plus rien n’arrête dans sa conquête du monde, oubliant une règle intangible. Rien n’est jamais écrit sur les terrains sportifs et encore moins en politique.

Sur le papier, les Australiens partaient avec un avantage historique. En quarante-huit ans, l’Inde a remporté la Coupe du monde, qui a lieu tous les quatre ans, à deux reprises, en 1983 et en 2011. L’Australie a gagné six fois. Mais l’Inde s’est hissée au meilleur niveau et est devenue l’épicentre du cricket. C’est le seul sport dans lequel le pays brille vraiment, contrairement au football.

« La défaite était impensable »

Les observateurs avisés soulignent « l’énorme pression subliminale » qu’ont subie les joueurs indiens, bien malgré eux. Ils critiquent le chauvinisme des supporteurs et le manque de fair-play des organisateurs. L’instant où le capitaine australien, Pat Cummins, a reçu la coupe fut un moment extrêmement gênant. Narendra Modi a tendu rapidement le trophée, avec le vice-premier ministre australien, Richard Marles, s’efforçant avec le plus grand mal à sourire puis, sans attendre, a tourné les talons, laissant le héros du stade seul sur scène, perplexe et pantois, comme s’il était un trouble-fête. Beaucoup de supporteurs indiens avaient déjà quitté les tribunes.

« Lorsque des milliers de personnes ont défilé dans le stade d’Ahmedabad le dimanche 19 novembre, elles étaient convaincues que le cricket et leurs dirigeants politiques avaient aligné les étoiles si parfaitement que la défaite était impensable », relève, dans The Wire, Pradeep Magazine. Pour ce journaliste, spécialiste du cricket, « la foule n’était pas là pour assister à un match de cricket. Ils étaient là pour célébrer la victoire de l’Inde, et non pour applaudir le magnifique cricket joué par les Australiens ».

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