En Inde, Netflix cède à la pression des nationalistes hindous

En Inde, Netflix cède à la pression des nationalistes hindous

Le réalisateur indien Dibakar Banerjee, à Bombay, en 2016.

Dans les bureaux de Dibakar Banerjee, situés dans un vieil immeuble du sud de Bombay, un tableau blanc liste des scènes de tournage de son dernier film, dont le titre de travail était Freedom. Après l’assassinat, en 2017, de la journaliste indienne Gauri Lankesh, qui critiquait ouvertement les nationalistes hindous, le cinéaste de 53 ans avait décidé de poser son regard d’artiste sur la bigoterie qui empoisonne son pays. Il voulait en faire une œuvre à destination de la classe moyenne indienne, dont il est lui-même issu et dont le silence face à la montée de l’intolérance religieuse le consterne. En Inde, les films de Dibakar Banerjee sont généralement considérés comme « sophistiqués », en comparaison avec les productions bollywoodiennes.

Interrogé sur le sort de son dernier long-métrage, l’affable réalisateur marque soudainement une pause, comme s’il venait d’encaisser un coup. « Mon film est une production originale de Netflix, il est terminé, mais je ne sais pas quand la plate-forme a prévu de le sortir », dit-il. Le tournage s’est achevé mi-2021 et le film devait être diffusé à la fin de cette année-là. Depuis, rien. « Netflix m’avait dit ne pas être sûre qu’il s’agisse du meilleur moment pour diffuser le film », explique-t-il. La plate-forme se disait pourtant ravie, en janvier 2020, d’annoncer quatre nouvelles productions indiennes, dont Freedom. Elle avait déjà produit, en 2018, Lust Stories, une anthologie de quatre courts-métrages saluée par la critique et à laquelle avait participé Dibakar Banerjee.

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Mais, après des mois de tergiversations, Netflix ne le sortira finalement pas. « J’ai vendu mon film à quelqu’un qui ne veut pas le diffuser et je ne peux rien y faire », regrette le réalisateur, qui se dit profondément en colère. Contacté par M, Netflix refuse de commenter officiellement. Un cadre de l’entreprise confirme néanmoins l’information, sous couvert d’anonymat. « Nous avons hâte de retravailler avec Dibakar Banerjee dans le futur, c’est un créateur fantastique et nous lui sommes reconnaissants, à lui ainsi qu’à son équipe », se contente-t-il de préciser, sans prendre le risque de s’épancher sur les raisons de ce refus. Depuis, Dibakar Banerjee se bat pour que son film puisse être vu. « D’ailleurs, vous ne l’avez pas vu », lance-t-il. Et de proposer spontanément de le projeter dans son bureau, une fois l’interview terminée. « Peut-être que c’est comme ça que mon film atteindra son public, un spectateur après l’autre », plaisante-t-il.

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Les lumières s’éteignent. Le film navigue entre passé et présent, projetant un futur dystopique à travers trois générations d’une famille musulmane. L’histoire commence au Cachemire dans les années 1990, lorsque la région himalayenne, à majorité musulmane et ensanglantée par une insurrection séparatiste, assiste à l’exode des populations hindoues. Le film part ensuite dans le Bombay contemporain, où une jeune femme se bat pour acheter un appartement dans un immeuble majoritairement hindou. Mais la vente tombe à l’eau en raison de son patronyme musulman.

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