Entre le Cameroun et la France, avec la Franco-Camerounaise Kiyémis

Entre le Cameroun et la France, avec la Franco-Camerounaise Kiyémis

Poétesse, afro-féministe, bloggeuse, la Franco-Camerounaise Kiyémis est une trentenaire aux multiples talents. Elle vient de publier ces jours-ci Et, refleurir, un roman inspiré de la trajectoire riche en témérités féministes et en rêves d’ailleurs de sa grand-mère maternelle.

« C’était toujours la même chose. Andoun se retrouvait dans les champs, derrière le village. Le vert d’abord, partout. Un vert émeraude, lumineux, débordait à perte de vue. Ce vert qui accrochait la lumière, combattait dans l’air le chaud des routes ocre, et recouvrait tout d’un manteau de vie. Les plants d’arachide tapissaient les vallées, et puis, au loin, les collines, puis, au loin, des villages dont elle ne connaissait pas le nom. Les épis de maïs dévoraient l’horizon. Derrière elle, le soleil s’était déjà levé. Elle en sentait les rayons embraser son dos. La chaleur lui intimait d’accélérer le rythme. »

C’est sur ces phrases, partagées entre naturalisme et onirique, que s’ouvre le premier roman sous la plume de la talentueuse Kiyémis. Kiyémis est le nom de plume de cette jeune auteure d’origine camerounaise — Fanny d’après son état civil – qui s’était fait connaître en publiant il y a sept ans un recueil de poèmes très remarqué : À nos humanités révoltées (paru en 2018, aux éditions Métagraphes).

Depuis, la jeune écrivaine a gagné en épaisseur et s’est imposée dans le paysage littéraro-médiatique français et francophone en créant son blog, très lu, « Les bavardages de Kiyémis », Je suis votre pire cauchemar (Albin Michel), un essai sur la grossophobie qui vise en particulier les femmes noires corpulentes. Elle anime aussi depuis un an une émission avec des artistes sur la joie de vivre, qui est diffusée sur YouTube par Mediapart.

 Un « private joke »

Son roman Et, refleurir qui vient de paraître aux éditions Philippe Rey, est un magnifique portrait de femme, inspiré du parcours de la grand-mère maternelle de l’auteure. L’idée du livre est née d’un private joke entre les deux femmes. Admirative de la fibre conteuse de sa petite fille, l’aïeule Andoun avait pris l’habitude de lui confier les événements marquants de sa vie. « Tu écriras mon histoire », lui aurait-elle glissé à l’oreille au détour d’une conversation. Or, Fanny/Kiyémis n’avait pas trop envie de devenir la biographe attitrée de sa mamie adorée. « Je suis poétesse, mamie, pas biographe », aurait-elle protesté.

« Je ne le suis toujours pas », Kiyémis, aime-t-elle à rappeler. Son roman n’est d’ailleurs pas une biographie, mais une épopée, un praise-song, un chant de louange, un hommage en prose, émaillé d’interludes poétiques, adressé à la femme que Fanny/Kiyémis admire le plus dans la vie, comme elle l’a confié à RFI.

« J’étais émerveillée par ma grand-mère, par sa capacité à refaire beauté. Je pense que c’est ça qui se passe quand une fleur éclot à nouveau au printemps. Je ne sais pas, je trouve ça merveilleux, personnellement. Quand je vois ça aussi chez des personnes qui traversent des épreuves compliquées, complexes, difficiles, et qu’elles continuent à rire, qu’elles continuent à danser, à transmettre, comment ne pas être émerveillée ? C’est ça l’histoire de ma grand-mère. C’était important pour moi d’écrire ce personnage qui brille pour m’éclairer, pour nous éclairer. »

Portrait de femme

La résilience est le thème principal de ce beau primo-roman de Kiyémis. Cette thématique est affichée par le titre du roman, qui joue avec la métaphore de la floraison saisonnière comme symbole de la renaissance. Il préfigure le devenir de la protagoniste Andoun qui change de prénoms pour se réinventer. Elle change aussi de vie, chute et se relève, disparaît et revient, s’attachant à transmettre ses rêves aux générations futures. « Une capacité à refaire beauté » qui lui vaut l’admiration éternelle de sa petite-fille.  

L’histoire d’Andoun commence dans les années 1950, dans le village camerounais de Nyokon, où celle-ci grandit, entourée du bruit des houes retournant les terres. Cette vie paysanne n’est pas sa tasse de thé, Andoun en est persuadée dès sa petite enfance. Elle rêve d’ailleurs, de libertés, de flamboyances, des rêves qui la conduisent d’abord à Douala, puis à Paris. Mais les pesanteurs de la vie, qui ont pour noms grossesses imprévues, absence d’argent, discrimination sociale et raciale, l’empêchent de réaliser ses aspirations. Or, Andoun n’est guère du genre à rester clouée sur place, ses échecs, elle en fait des tremplins pour aller de l’avant. Surmontant les obstacles, elle « refleurit », comme les arbres après la saison des pluies.  

Enfin, le roman de Kiyémis n’est pas seulement un hommage, il est aussi un livre engagé. Voguant entre l’Afrique et la France, il raconte le récit d’une migration réussie, malgré les préjugés et les perceptions négatives dont l’héroïne est victime. Autrice afroféministe, s’inspirant de ses fréquentations assidues des Audre Lorde, des bell hooks et autres Kimberlé Crenshaw, penseurs de l’afroféminisme outre-Atlantique, Kiyémis imagine, avec un sens consommé d’observation sociale, les rapports de domination, de classe, de race ou de genre dont souffre son héroïne, mais aussi les solidarités de classe dont elle bénéficie parfois. À travers le destin de sa grand-mère Andoun, se raconte dans ces pages les trajectoires des femmes noires en Occident, invisibilisées et marginalisées et pourtant combien porteuses d’universalités.  

Cette perspective afroféministe est une des dimensions importantes de ce premier roman de Kiyémis qui parle avec passion de la conscience noire, particulièrement vive dans laquelle elle a baigné dans sa famille depuis son enfance.

« Être noire, c’est aussi vaste que le monde. Magnifique, cette phrase de l’historienne Maboula Soumahoro me hante depuis mon enfance, soutient-elle. Je suis quelqu’un qui a été irradiée, qui a été inondée par les idéaux afro-féministes, mais aussi quelqu’un qui a été sauvée parce que d’avoir ces idées de lutte contre le racisme, contre le sexisme, contre toutes sortes de discriminations qui touchent beaucoup les femmes noires, ça m’a permis aussi de me dire que je peux me relever. Et non seulement je peux me relever, mais ensemble, on peut se relever, ensemble, on peut penser à un autre monde. » 

Un autre monde est possible, Kiyémis qui aime tant parler de la joie en est persuadée. C’est sans doute l’héritage le plus précieux des « rêves téméraires » de son aïeule qu’elle aimerait perpétuer à travers ses combats et ses écrits à venir.

Et, refleurir, par Kiyémis. Editions Philippe Rey, 382 pages, 22 euros.

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