Mathieu Belezi invoque « Apocalypse Now » en Algérie

Mathieu Belezi invoque « Apocalypse Now » en Algérie


Mathieu Belezi, né en 1953, entretient un certain mystère sur sa personne, mais en déclare l’obsession en ayant au fil des années construit une œuvre centrée sur l’Algérie coloniale. Son nouveau roman, retravaillant une première mouture parue en 2011 chez Flammarion, pourrait en constituer le point d’orgue, tant il récapitule en forme d’apocalypse l’histoire et la chute d’une illusion. Augusto Roa Bastos avait autrefois imaginé avec Moi, le suprême le monologue d’un dictateur sud-américain. Avec Moi, le glorieux, Belezi poursuit une inspiration jumelle : rendre compte du crépuscule de l’Algérie française dans une couleur comme latino-américaine.

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Narrateur en première personne, Albert Vandel, dit Bobby la baraka, est l’un de ces grands colons qui a bâti sa fortune agraire sur l’exploitation de milliers d’hectares de vignes et d’agrumes, ne reculant devant aucune spoliation, aucune concussion. Au milieu de ses pairs, rois de l’alfa et seigneurs blancs de la Mitidja, il est ici campé à l’heure de la débâcle : année 1962, nihilisme meurtrier de l’OAS, déchaînement final du FLN. Quittant sa somptueuse villa des hauteurs d’Alger, il trouve refuge dans le bordj Saint-Léon, une redoute gardée par une quinzaine de légionnaires ayant fait défection.

Romanité impériale

Cette forteresse d’un possible Little Big Horn, d’époque Michel Debré, abrite les projections mentales de ce personnage cynique et truculent, sorte de Trimalcion sur fauteuil roulant que hantent des anamnèses testamentaires. Il revoit la visite du président Doumergue, les banquets d’importants où l’on servait vins fins et quartiers de gazelle, l’Algérie pétainiste avec ses miliciens et ses doriotistes, les fortunes mirifiques construites sur l’échine des fellahs, des bachaghas dupés et des esclaves sexuelles mauresques, tout un monde qui arborait spencers blancs et robes de Paris en cultivant un rêve de romanité impériale.

Le roman se déploie en forme radiale autour du monologue d’un roitelet mourant, crachant des jets de forfanterie spermique, invoquant les fantômes de Bugeaud et Lamoricière, revisitant avec un désarroi rageur son passé tel un village Potemkine mental. L’Algérie coloniale devient ici une fiction faulknérienne, un typhon de glèbe et de corruption, diffracté dans le délire d’un patriarche en son automne. Livre pyrotechnique, abyssal, respirant la sueur, le vétiver et la charogne, requiem pour un empire failli où l’on meurt en rêvant de houris tatouées et de paquebots salvateurs.

« Moi, le glorieux », de Mathieu Belezi (Le Tripode, 329 p., 21 €). À lire aussi, « Le Temps des crocodiles », roman illustré de Mathieu Belezi et Kamel Khélif (Le Tripode, 160 p., 25 €).


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