Algérie – Claude Le Roy : » mon père s’est battu pour l’indépendance » [Exclu]
Algérie – Claude Le Roy : » mon père s’est battu pour
l’indépendance » [Exclu]
- 1 Algérie – Claude Le Roy : » mon père s’est battu pour l’indépendance » [Exclu]
- 2 « Le président Macron m’a demandé de l’accompagner »
- 3 « Bien des leaders africains étaient venus chez nous »
- 4 « Cela m’avait valu beaucoup de manifestations contre moi dans les rues camerounaises »
- 5 « Les féticheurs m’en ont beaucoup voulu »
Dans cette troisième et dernière partie de l’entretien exclusif qu’il a
accordé à Afrik-Foot.com, Claude Le Roy revient sur son
parcours de sélectionneur en Afrique, riche de 9 participations à
la CAN, mais également sur ses engagements personnels. Le
technicien de 75 ans dévoile aussi des anecdotes sur son rapport
aux pouvoirs politiques et aux pratiques mystiques.
Par Nacym Djender,
Plus de 209 matchs en tant que sélectionneur d’équipes
africaines : le Cameroun (50 matchs), le Congo Brazzaville
(22), le Ghana (20), la RDC (47), le Sénégal (28) et le Togo (42 matchs).
Vous retenez quoi aujourd’hui de votre belle aventure
africaine ?
Il y a des matchs qui manquent dans votre comptage. J’en ai fait
bien plus, notamment avec le Cameroun par exemple.
On a pris ces chiffres sur des sites spécialisés, à
défaut d’avoir une base officielle au niveau de la
CAF…
C’est toujours comme ça avec ces sites. Mais soyez sûr que j’en
ai fait bien plus. Pour répondre à votre question, je dirai que
j’ai juste beaucoup de chance d’avoir pu diriger toutes ces équipes
en restant souvent longtemps. Je n’ai jamais eu de vrais problèmes.
Enfin, ces gens ont toujours tout fait pour me mettre dans les
meilleures conditions. J’ai pu travailler de manière assez
sereine.
Il y a aussi votre ouverture d’esprit et votre volonté à
vouloir toujours mieux comprendre la mentalité africaine qui vous a
facilité la tâche, non ?
Oui, certainement aussi. Je n’ai pas envie de paraître
prétentieux, mais je crois que la première qualité dans
l’intelligence est la fonction d’adaptation. Il faut savoir
s’adapter, être curieux, savoir se cultiver aussi vite que possible
sur l’environnement qu’on a intégré, connaître les réalités
historiques des pays dans lesquels vous travaillez…
Si vous allez au Cameroun et que vous ne connaissez rien des
guerres d’indépendance des années 50, si vous ne connaissez pas
l’histoire des tirailleurs sénégalais, si vous ne connaissez pas
Patrice Lumumba alors que vous travaillez en RDC, Si vous ne
connaissez pas le discours de Brazzaville alors que vous êtes au
Congo, Kwame Nkrumah si vous
allez au Ghana… Travailler dans un pays, où que ce soit d’ailleurs,
en Afrique ou autre, ce n’est pas seulement s’occuper de
footballeurs, d’un staff, de dirigeants, ou de journalistes, staff
médical ou d’équipementier etc… C’est, s’intéresser surtout, à la
géopolitique de ces pays pour bien les comprendre.
CAN 2023 : les 3 favoris de Claude Le Roy
[Exclu] https://t.co/rHux2vdACJ pic.twitter.com/8DwFjsgDFl— Afrik-Foot (@afrikfoot) November 2, 2023
« Le président Macron m’a demandé de
l’accompagner »
Ça vous manque l’Afrique maintenant que vous vivez en
France ?
Ça me manque, non, puisque j’y retourne souvent encore.
D’ailleurs je repars ce vendredi (hier, ndlr) encore au Sénégal pour une mission, on va
dire, diplomatico-sportive. Le président Macron m’a demandé de
l’accompagner plusieurs fois dans des voyages officiels. Donc, non,
je suis encore souvent sur ce continent où j’ai gardé beaucoup
d’amis et des relations privilégiées. Et rien ne dit que je ne
retournerai pas un jour…
On vous souhaite une très longue vie, mais si demain
vous deviez quitter ce monde, dans quel pays aimeriez-vous être
enterré ?
Merci. Je dirai probablement en France . Je suis Breton et cela
permettrait à ceux qui aimeraient se recueillir de temps en temps
sur ma tombe de ne pas avoir trop de chemin à faire, quoi (il
rigole).
Mais on vous souhaite vraiment une longue vie… Le
football a encore besoin de vous.
C’est comme dans le football, il faut toujours être efficace et
pragmatique, quoi, mais aussi joueur. Aimer le jeu, surtout !
On n’aime jamais assez le jeu. Il y en a trop dans le football qui
aiment le « JE », mais pas assez le
« JEU ».
Bien dit ! Avec quelle équipe avez-vous pris le plus de
plaisir ?
Avec la prochaine (il rigole franchement).
« Bien des leaders africains étaient venus chez
nous »
Ne bottez pas en touche…
Je ne botte pas en touche mais quand on me demande quel a été
votre plus grand match, je réponds toujours « le
prochain ». C’est parce que j’ai toujours pris du plaisir avec
des équipes, pas toujours forcément du même niveau, mais j’ai
toujours pris un plaisir fou partout, avec mes staffs, avec mes
joueurs…
Vous aviez aussi eu des soucis avec des responsables
dans les pays africains…
C’est vrai, j’ai eu parfois des conflits avec des ministres
médiocres et je ne me suis pas retenu pour le leur faire savoir.
J’ai toujours dit les choses comme je les ressentais. Cela permet
d’être très à l’aise avec soi. Vous savez, j’ai pris un vrai
plaisir en entraînant la sélection d’Oman, pendant trois ans, où,
pour la première fois dans l’histoire du pays, on avait gagné la
Coupe du Golfe des nations (2009, ndlr), contre l’Arabie Saoudite.
C’étaient trois jours de liesse populaire dans ce sultanat qui
renferme beaucoup de talents. J’ai aussi pris du plaisir en Chine,
en Malaisie, à Cambridge United, bien sûr, avec le Milan AC, en
France…
Et en Afrique surtout, non ?
Bien évidemment ! C’est vrai que j’ai un attachement
particulier avec le continent africain, oui ! C’est un
attachement culturel, filial, familial… Mon père s’était beaucoup
battu pour les luttes d’indépendance et c’est lui qui m’a inoculé
le vaccin africain très jeune.
Beaucoup des jeunes africains d’aujourd’hui ignorent
peut-être ce côté-là de votre famille. Pourriez-vous nous en dire
un peu plus ?
En fait, mon père était un responsable communiste important et
il avait pris position en faveur des luttes d’indépendance au
risque et péril de sa vie par moments, à l’époque où c’était très
dangereux de le faire ouvertement. Mon père a été pour
l’indépendance de l’Algérie et il
n’avait pas peur de le faire savoir. Il était là lors de la
Répression au métro Charonne de la manifestation du 8 février 1962
(qui avait fait neuf morts, ndlr). Donc moi, j’ai été élevé dans ce
sens. Bien des leaders africains étaient venus chez nous. Très
jeune, j’avais eu conscience de ce qu’était le
mot « indépendance » et je pense que ça m’a
poursuivi toute ma vie.
« Cela m’avait valu beaucoup de
manifestations contre moi dans les rues camerounaises »
Pour revenir au football, on va vous demander maintenant
d’effectuer un exercice de mémoire un peu délicat. Quel est votre
Top 5 des meilleurs footballeurs africains que vous avez croisés
durant votre carrière ?
(Il rigole), Ouh là là ! C’est impossible, il y en a
tellement ! Je dirai d’abord, parmi mes coéquipiers, François
Mpelé, Salif Keïta, puis après, tous les joueurs que j’ai dirigés
comme Roger Milla, Samuel Eto’o, Jules Bocandé, Michael Essien,
Emmanuel Adebayor… Il y en a dans tous les pays où j’ai entraîné.
J’ai eu la chance de découvrir Georges Weah quand il arrivait au
Cameroun très jeune du Libéria et je l’ai ramené à
Monaco. Il y a tellement, tellement de bons joueurs
exceptionnels de ceux qui m’ont marqué. Mais il y a aussi des
joueurs inconnus qui m’ont marqué par leur intelligence, leur
personnalité, leur charisme. Moi, je ne m’attache pas aux noms.
Vous savez, j’ai toujours dit que ce n’est pas avec des noms qu’on
fait une équipe, mais c’est avec des joueurs qu’on la fait.
Tout ce qu’il y a de vrai…
Malheureusement, je trouve que, quelques fois, certains
entraîneurs qui s’attachent trop longuement aux noms et ils ne
cherchent pas trop à regénérer leur équipe. Vous savez, moi, quand
j’ai été champion d’Afrique avec le Cameroun (1988, au Maroc, ndlr),
j’avais laissé deux de mes amis, deux grands joueurs au Cameroun,
qui étaient Grégoire Mbida et Docteur Abéga qui étaient tous les
deux des joueurs exceptionnels, mais j’avais découvert de jeunes
joueurs de grand talent qui étaient aussi forts qu’eux, mais en
plus jeunes et inconnus. Cela m’avait valu beaucoup de
manifestations contre moi dans les rues camerounaises avant notre
départ au Maroc, mais après, lorsqu’on a été sacrés champions
d’Afrique, tout le monde a oublié Mbida et Abéga. C’est moi qui aie
tenu à dire que si on avait été arrivés là, c’était aussi grâce à
eux.
Il fallait avoir du cran pour faire face à
cela…
Vous savez, en réalité, on des passeurs dans le football. Sans
le talent des gardiens de but qu’étaient Antoine Bell et Joseph
Nkono au Cameroun, ou d’Ali Al Habsi à Oman, qu’est-ce que j’aurais
gagné moi, en tant qu’entraîneur ? Ou par exemple quand je
dirigeais le PSG et qu’on avait
gagné la Coupe de France et la Coupe de la Ligue, c’était aussi
après de grands exploits des gardiens de but. Vous savez, ma
conviction est que, lorsqu’on a un grand gardien de but, on peut
devenir un grand entraîneur !
Et inversement…
Oui quelques fois aussi, quand on n’a pas un grand gardien, il
est difficile de faire de grands résultats. Tous les résultats que
j’ai obtenus dans ma carrière, je les ai gagnés parce que j’avais
de grands gardiens.
« Les féticheurs m’en ont beaucoup voulu »
En tout cas, les Africains savent toujours reconnaître
ceux qui ont servi le continent et vous en faites partie vous et
votre famille. On ne vous remerciera jamais assez.
C’est gentil. Vous savez, quand on me dit « merci pour tout
ce que vous avez apporté pour ce continent », je réponds
toujours : « Merci aussi pour tout ce que ce continent a
fait pour moi ».
On ne va pas vous laissez partir sans vous demander de
nous raconter une des anecdotes qui vous ont le plus marqué en
Afrique. Que ce soit en matière de football, de sorcellerie ou de
politique…
Franchement, je n’ai jamais permis dans mes équipes ni de
féticheur, ni de sorciers, ni de
guérisseurs ou quoi que ce soit de ce genre. Je les ai toujours
dégagés. Mais ça ne m’a pas empêché de laisser les joueurs de le
faire si eux le voulaient. Je parle de consulter un marabout ou
autre. Je leur ai laissé la liberté de le faire s’ils le voulaient,
mais c’était toujours en dehors des périodes qu’ils passaient avec
moi en équipe nationale, parce que ce sont des relations
culturelles et qu’il faut toujours respecter justement la culture
de ces pays.
Sinon, en dehors de l’histoire que tout le monde connaît au PSG
avec Michel Denisot, il n’y a pas eu de relation directe avec tous
ces féticheurs qui m’en ont beaucoup voulu parce, sous prétexte de
fétiche, ils gagnaient beaucoup d’argent pour pas grand-chose.
Donc, on va dire que ce n’étaient pas mes plus grands
supporters.
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