« Ce n’est pas le propre des historiens d’être porte-parole de vérités déjà établies »

« Ce n’est pas le propre des historiens d’être porte-parole de vérités déjà établies »

Todd Shepard est professeur d’histoire à l’université Johns-Hopkins (Etats-Unis), spécialiste de la France contemporaine et des études coloniales. Il a notamment publié chez Payot Mâle décolonisation. L’« homme arabe » et la France, de l’indépendance algérienne à la révolution iranienne (Payot, 2017), ainsi que 1962. Comment l’indépendance algérienne a transformé la France (Payot, 2008). Chercheur invité à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), il travaille sur l’extension de la citoyenneté aux Algériens musulmans et les politiques publiques de discrimination positive pendant l’époque coloniale. Ses recherches s’inscrivent dans un contexte de productions de travaux sur la guerre d’Algérie et la colonisation, notamment aux Etats-Unis et en Angleterre, qui renouvellent profondément le regard sur cette histoire, encore trop captive des débats nationaux.

Avez-vous constaté une amélioration dans l’accès et l’ouverture des archives, promesse du président Macron ? Qu’en est-il en Algérie ?

Todd Shepard : Si je compare avec d’autres historiens, je n’ai pas vraiment eu de difficultés à accéder aux archives, en France, comme en Algérie. En général, les archivistes ne comprennent pas l’intérêt de mes questions. Je ne fais pas de recherches sur des sujets sensibles – la torture, en France ; le conflit interne au FLN [Front de libération nationale], en Algérie –, je ne cite pas de noms comme Maurice Papon, Ahmed Ben Bella… Ça me facilite la tâche car les archivistes ont tendance à vouloir préserver les institutions de controverses qu’ils qualifient de journalistiques, alors qu’il s’agit de questions scientifiques.

En Algérie, les documents du FLN auxquels j’ai pu avoir accès dans ce grand bâtiment soviétique des archives nationales à Bir Khadem [au sud d’Alger] ont bouleversé mon travail de recherche. Je ne m’y attendais pas. Cela va me permettre de poser de nouvelles questions sur la manière dont le FLN, le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) répondaient aux débats français pendant la guerre, par exemple sur la compatibilité de l’islam à la République française, argument avancé à partir de 1955 pour garder l’Algérie dans le giron français.

Vous avez mené des recherches importantes sur la guerre d’Algérie et la colonisation depuis plus de vingt ans. Une nouvelle génération de chercheurs qui s’intéressent à ces thèmes émerge aux Etats-Unis. Comment expliquez-vous un tel intérêt pour cette histoire dans les universités américaines ?

Au début des années 2000, on comptait plus de cinq mille historiens de la France en poste dans les universités américaines. C’est nettement plus qu’en France. La France a une place particulière depuis le milieu-fin XIXe siècle dans la discipline historique car la Révolution française était le paradigme.

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