« La France, ce géant énergétique qui s’ignore »

« La France, ce géant énergétique qui s’ignore »

En octobre 2022, l’inflation de la zone euro s’est établie à +10,5 %, principalement portée par l’envolée des prix de l’énergie (+42 %). Cette inflation, que la Banque centrale européenne ne pourra pas tempérer par une hausse de ses taux directeurs, est appelée à devenir un fait non pas conjoncturel mais structurel de l’économie des prochaines années. En cause, une diminution massive et durable de l’approvisionnement énergétique de l’Europe, induite non seulement par la guerre russo-ukrainienne, mais déjà auparavant par la reprise post-Covid. Malgré ce contexte, la France dispose d’un atout considérable, dont l’opportunité n’a d’égale que son absence du débat public : l’exploitation de ses propres réserves d’hydrocarbures non conventionnels.

Ce sujet, justement soulevé par des rapports ministériels et parlementaires au début des années 2010, est aujourd’hui encore ignoré, alors que ses enjeux sont plus importants que jamais, non seulement pour la France, mais aussi pour toute l’Union européenne. Face à une inflation structurelle tirée par les prix de l’énergie qui entame le pouvoir d’achat des ménages et menace notre industrie de destruction ou de délocalisations massives, l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels de notre sous-sol s’impose comme un impératif économique de souveraineté et de sécurité.

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Les hydrocarbures non conventionnels, dont les plus connus sont les pétroles et gaz de schiste, ont commencé à être exploités à la fin des années 2000 en Amérique du Nord, sous l’effet conjoint des techniques de forage horizontal et de fracturation hydraulique. L’abondance de ressources extraites permise par ces techniques a entraîné une véritable révolution énergétique aux États-Unis. Le pays est passé en quelques années d’importateur à exportateur net de gaz, en a divisé par deux le prix, et d’autant les émissions de CO2 de ses centrales électriques dont le charbon a été substitué par du gaz, sans compter les avantages sur la compétitivité de son industrie.

Révolution énergétique ?

Cette révolution énergétique, industrielle et géopolitique majeure a conduit de nombreux pays à exploiter leurs ressources de ce type. Parmi eux, la France fait figure d’exception, en dépit d’un rapport commis par différents organismes administratifs et commandé par le ministre du Redressement productif de l’époque, Arnaud Montebourg. Ce rapport identifie très précisément les nouveaux enjeux de ces hydrocarbures et le potentiel important de la France dans le domaine. Malgré sa qualité, il n’a pas été suivi d’effet et a aujourd’hui été oublié.

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Ses conclusions et leurs implications sont pourtant toujours d’actualité, et pourraient être décisives pour la situation française actuelle. Il met ainsi en exergue la formidable quantité d’hydrocarbures techniquement exploitables de notre sous-sol. Principalement situés dans le nord-est et le sud-est de la France, les bassins d’extraction français pourraient fournir autour de 16 milliards d’équivalents barils de pétrole, soit 26 ans de consommation domestique. Pour le gaz, l’ordre de grandeur est de 3 870 milliards de mètres cubes, soit 90 ans de consommation. La rente économique engendrée par cette exploitation serait elle aussi considérable, atteignant 294 milliards d’euros dans un scénario probable, et toujours 103 milliards dans le scénario pessimiste.

Le rapport n’élude pas la question des conséquences environnementales que peut entraîner la technique de la fracturation hydraulique, laquelle implique de grandes quantités d’eau et d’additifs. Les risques environnementaux de cette technique conduisent les auteurs du rapport à exclure son utilisation en France. Ils mettent en avant une autre technique de fracturation utilisant de l’heptafluoropropane, un gaz non inflammable qui permet de mettre la roche sous pression aussi efficacement qu’avec de l’eau, mais en minimisant les risques pour l’environnement et en limitant les risques industriels. Le sous-sol français est donc doté de réserves d’hydrocarbures considérables, et exploitables par une technique prometteuse et respectueuse de l’environnement. Au-delà des retombées économiques anticipées par le rapport Montebourg, les bénéfices de l’extraction des hydrocarbures non conventionnels français sont absolument majeurs, et peuvent présager d’un réel changement de paradigme dans de nombreux domaines.

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L’indépendance énergétique de la France et plus largement de l’Europe s’en trouverait tout d’abord considérablement accrue. Si l’Europe est progressivement en train de se libérer de sa dépendance énergétique russe, c’est au prix de l’accroissement de sa dépendance à d’autres producteurs, notamment américains et qataris en ce qui concerne le gaz liquéfié. Notre hypocrisie énergétique atteint sur ce sujet précis son paroxysme, puisque le gaz américain que nous importons à prix d’or est non seulement similaire à celui qui est sous nos pieds, mais a été extrait par fracturation hydraulique, technique que nous refusons d’employer sur notre sol. Surtout, l’Europe est aussi contrainte de se tourner vers des fournisseurs dont la fiabilité n’est pas plus garantie que celle des Russes, voire pire vers des États voyous comme l’Azerbaïdjan.

Indépendance énergétique

Cette indépendance énergétique retrouvée permettrait ainsi une utilisation optimale du gaz extrait en évitant les pertes de conversion induites par les processus de liquéfaction et de regazéification inhérents au transport maritime. Cela assurerait à la France et à l’Europe une production et une consommation domestiques de gaz et de pétrole décisives tant pour ses ménages que pour la compétitivité de son industrie et de son économie. La crise actuelle témoigne qu’entre le travail et le capital, l’énergie et surtout son coût est un déterminant majeur de la production économique. Assurer un approvisionnement sûr et bon marché à l’économie européenne est une condition sine qua non de la bonne santé de celle-ci.

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Enfin, on ne peut pas oublier que si des considérations purement économiques se trouvent aujourd’hui à un niveau élevé de la hiérarchie des priorités, la question climatique y tient elle aussi une place importante. Or, comme tous les composés organiques enfouis dans le sous-sol, le pétrole et le gaz sont des composés fossiles, dont la combustion émet des gaz à effet de serre. Il convient donc à cet égard de préciser que la perspective d’une exploitation des hydrocarbures non conventionnels français est associée à une conception de ces énergies comme des énergies de transition, dont nous devons à terme nous passer. Seulement, il faut être lucide quant au fait que la stabilité de notre économie reste structurellement déterminée par son approvisionnement en ces énergies, et qu’une sortie brutale de celles-ci est indissociable d’un effondrement économique.

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Force est ainsi de constater que de nombreux pays européens frontaliers de la France ont fait le choix d’un mix électrique à forte pénétration de renouvelables, et prévoient ainsi un back-up pilotable de gaz au moins jusqu’en 2050. Au-delà de l’utilisation du gaz pour la production électrique, celui-ci est vital à de nombreux autres usages, notamment les transports où il est difficilement substituable, mais aussi et surtout dans toute l’industrie chimique, notamment des engrais, sans lesquels il serait impossible de nourrir notre population. Enfin, lorsqu’il est déployé en substitution du charbon dans des centrales électriques, le gaz divise par deux les émissions de gaz à effet de serre, comme cela a été significativement constaté dans le cas américain.

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Le 26 octobre dernier, le président de la République faisait sur France 2 le juste constat de la crise structurelle que nous traversons aujourd’hui : « une inflation qui est la conséquence de nos dépendances ». Il est désormais temps d’en tirer toutes les conclusions et d’enfin valoriser nos atouts qui n’attendent qu’une action politique résolue. La France peut devenir une puissance énergétique qui, en plus d’exporter une électricité bas carbone d’origine nucléaire, alimentera l’Europe en hydrocarbures aujourd’hui encore indispensables. Cette politique énergétique ambitieuse soulagera les ménages, garantira la compétitivité de notre industrie, affermira notre indépendance et notre souveraineté tout en assurant la transition vers la neutralité carbone à l’horizon 2050.

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