Cameroun : une start-up parie sur la séquestration de carbone grâce au biochar

Cameroun : une start-up parie sur la séquestration de carbone grâce au biochar


Présente à la COP27 en Égypte, la petite start-up française NetZero a de l’avenir en Afrique. À Nkongsamba, à 150 km au nord de Douala, au Cameroun, elle a construit sa première unité de production de biochar. Cette poudre de charbon est obtenue à partir de résidus de biomasse dont le carbone est extrait par pyrolyse, une combustion à haute température sans oxygène. Ce procédé, qui permet de stabiliser pour des centaines d’années le carbone initialement capté par les plantes dans l’atmosphère, est reconnu par le Giec depuis 2018 comme une solution pour séquestrer le CO2.

Si un objectif zéro émission d’ici à 2050 est affiché, certaines émissions restent cependant incompressibles, entre 5 et 10 milliards de tonnes chaque année, estime le Giec. Il faudra donc les enlever de l’atmosphère, par séquestration ou captation. « Le fait que le Giec ait reconnu le biochar comme procédé de séquestration long terme nous a fait penser qu’on pouvait développer un business modèle en s’appuyant sur les crédits-carbones, en complément de la vente du biochar aux agriculteurs. L’idée est de produire ce biochar à grande échelle et à un coût très compétitif », explique Axel Reinaud, président et cofondateur de NetZero.

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Un prototype et une première en Afrique

Si le principe du biochar existe depuis longtemps, l’industrialisation du processus est bien l’objectif de NetZero. « Après onze mois de travaux depuis le terrassement à la construction de l’usine pilote, nous avons pu à Noël dernier démarrer les tests et les réglages et réaliser la mise en service fin mai, détaille Axel Reinaud. Très rapidement, nous avons obtenu la certification, mi-octobre, qui nous permet d’émettre des crédits-carbone, un élément clé de notre business modèle. »

En s’installant à Nkongsamba, la start-up s’est d’adossée à Synergie Nord Sud (SNS), une usine de décorticage et de torréfaction de café qui appartient au Camerounais Amyé Ngiakin, dont le père travaillait dans l’usine. Après trente ans en France, il est rentré au Cameroun après avoir vendu son entreprise, pour racheter en 2006 l’usine de café abandonnée et relancer la production. Il fait partie des quatre cofondateurs avec le fils d’Axel Reinaud, et le climatologue Jean Jouzel.

La proximité de l’usine de café permet un approvisionnement en résidus agricoles abondants, notamment en parches de café qui n’étaient pas valorisées jusqu’à présent. L’approvisionnement se fait également auprès d’autres petites usines de décorticage dans la région. L’entreprise a choisi de travailler en zone tropicale, où les résidus agricoles sont disponibles en grandes quantités et ne sont pas valorisés. « Nous consommons une tonne à l’heure de biomasse pour produire 250 kg de biochar, et nous prévoyons une production annuelle, en vitesse de croisière, de 2 000 tonnes de biochar par an », explique Axel Reinaud. « L’usine fonctionne en continu avec des équipes qui se succèdent en 3 x 8. Nous avons 50 personnes sur le site. Dans le futur, le processus sera plus automatisé », poursuit-il.

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Le biochar, un atout pour l’agriculture

Outre les bénéfices pour le climat, cette poudre de charbon a aussi un autre atout majeur : elle améliore la qualité des sols et le rendement agricole. « La vente de biochar se fait essentiellement autour de l’usine, pour les plantations de café et des cultures vivrières. Le produit est nouveau et éveille la curiosité des clients potentiels, qui demandent de petites quantités pour réaliser des tests. Nous avons même des demandes en France, auxquelles nous ne pouvons pas répondre. Au Cameroun, nous travaillons avec l’université de Dschang pour réaliser une série de tests sur différentes cultures – café, cacao, maïs –, pour optimiser les usages du biochar. Sur le maïs les premiers résultats sont très bons avec une augmentation de l’ordre de 40 % des rendements », détaille Axel Reinaud.

Dans le contexte actuel, avec le prix des engrais qui flambe, l’arrivée d’un produit comme le biochar, reconnu pour ses propriétés fertilisantes et notamment de correcteur d’acidité des sols, est particulièrement bienvenue. En diminuant l’apport d’engrais, le biochar permettrait d’économiser de l’argent. Son bilan carbone est doublement positif puisqu’il évite l’utilisation de gaz nécessaire à la fabrication d’engrais et en plus il stocke du CO2 à long terme.

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Une reconnaissance internationale

Créée en 2021, la start-up a été distinguée comme l’un des quinze projets de séquestration carbone les plus prometteurs lors du concours XPRIZE Carbon Removal lancé par la Fondation Elon Musk, et a reçu un chèque d’un million de dollars. « La sélection de NetZero comme l’un des quinze gagnants du concours a été une validation très importante de notre modèle et de son efficacité climatique. Quelques semaines après nous avons reçu le Label « Efficiente solution » de la Fondation Solar Impulse, qui valide le modèle économique et l’impact climatique positif d’une entreprise. Enfin, mi-octobre nous avons obtenu la certification de notre usine, nous permettant d’émettre des crédits-carbones. » Cette certification, obtenue auprès de Puro.earth, organisme finlandais indépendant de référence, a permis aussi de nouer, dans la foulée, un premier partenariat avec le Boston Consulting Group (BCG) pour l’achat de crédits-carbone émis par NetZero. « Nous préférons vendre nos crédits directement à des entreprises engagées et exemplaires sur ce sujet », commente Axel Reinaud.

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Le modèle économique en question

Grâce à la certification, nous pouvons vendre le biochar à un faible prix, autour de 150 euros la tonne en Afrique, ce qui le rend accessible aux petits agriculteurs et en fait un produit de substitution intéressant. En Europe, ce prix est plutôt compris entre 1 000 et 2 000 euros la tonne.

Côté crédit-carbone, la tonne de CO2 séquestrée sur le long terme (comme pour le biochar) est évaluée entre 150 et 200 euros. À l’horizon 2050, c’est 10 milliards de tonnes à capturer chaque année, soit un gigantesque marché de 1 000 milliards de dollars. Au Cameroun, l’usine pilote en vitesse de croisière produira 2 000 tonnes de biochar par an et permettra de stocker près de 3 000 tonnes de CO2 par an.

NetZero cherche aussi à se développer dans d’autres pays. Prochaine étape, le Brésil. Toujours adossée à une usine de café, la start-up construit sa deuxième usine qui devrait être achevée fin décembre, avec des modifications significatives. « L’installation et le fonctionnement d’un système de pyrolyse n’est pas si facile. L’idée est de réduire les coûts et de simplifier les opérations. Nous sommes dans une logique d’industrialisation. Et le but est de rendre d’ici deux à trois ans l’installation aussi facile que celle des gros générateurs électriques, que l’on achemine dans un conteneur », confie Axel Reinaud. Pour autant, NetZero ne veut pas brûler les étapes. Pour nous, 2022, c’est l’année du Cameroun ; 2023, celle du Brésil ; et 2024, probablement un autre pays africain. »

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La COP27 pour convaincre

Pour faire connaître son business-modèle, NetZero a fait le déplacement à Charm el-Cheikh pour la COP27. « C’est la deuxième année où nous sommes présents à la COP. Cela représente un gros investissement pour nous. Nous voulons montrer que notre modèle apporte des solutions dans les pays victimes du changement climatique. On parle beaucoup de ce transfert du nord vers le sud et justement notre modèle économique est basé sur des entreprises au nord qui achètent des crédits-carbone, ce qui permet de financer un produit, le biochar, accessible aux agriculteurs du sud », commente Axel Reinaud. « Notre société basée en France est née véritablement au Cameroun avec une grosse ambition de développement en Afrique », conclut-il.

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