quand l’inflation grignote (sérieusement) le couffin du ramadan

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quand l’inflation grignote (sérieusement) le couffin du ramadan


« Il y a de tout, mais on ne peut acheter que peu. » Ce retraité rencontré au marché d’El Mouradia, sur les hauteurs d’Alger-Centre, résume assez bien la configuration de l’offre en denrées alimentaires aux premiers jours du mois du ramadan. Point culminant de la courbe de consommation de toute l’année, le mois sacré est synonyme de stress pécuniaire pour des milliers de familles face à l’envolée quasi traditionnelle et automatique des prix des légumes, des fruits, de la viande rouge ou blanche et autres articles nécessaires pour garnir la belle table de la rupture du jeûne.

Dans ce petit marché algérois, l’image détonne en comparaison avec le ramadan 2023 : la profusion des produits. « Sur le plan de la disponibilité, c’est l’abondance, indique un détaillant coincé entre deux colonnes de cageots de pommes de terre dites « de sable », produites dans le désert. Pour ce qui est des prix, ce n’est pas de notre faute, il faudra plus en vouloir aux grossistes, aux intermédiaires. »

Depuis quelques années, l’agriculture connaît un bond important (prévision de croissance 2024 de 5,6 %), avec notamment des records quant à la production des pommes de terre, des céréales, des légumineuses, etc.).

« Processus inflationniste »

Si les prix, cette année, marquent un (très) léger recul par rapport au précédent ramadan, ils restent néanmoins élevés par rapport à un pouvoir d’achat de plus en plus grignoté par l’inflation. La Banque d’Algérie (Banque centrale) affiche un taux d’inflation en glissement annuel de 9,32 % et, dans sa dernière note de conjoncture, la même institution souligne que « l’indice national des prix à la consommation a enregistré une augmentation de 8,84 % en septembre 2022 à 10,32 % en septembre 2023 ». Cette hausse serait, selon la Banque d’Algérie, « principalement imputable à des augmentations dans les prix des groupes alimentation-boissons non alcoolisées et santé-hygiène corporelle, qui ont respectivement enregistré une inflation passant de 11,27 % et 7,62 % en septembre 2022 à 15,19 % et 8,87 % en septembre 2023 ».

L’expert en économie Abderrahmane Mebtoul liste plusieurs facteurs provoquant ce qu’il qualifie de « processus inflationniste » : besoins croissants de la population, inflation importée (85 % des besoins des ménages et des entreprises publiques et privées, dont le taux d’intégration ne dépasse pas 15 %, proviennent de l’extérieur), déficit budgétaire avec une hausse historique des dépenses de l’État, faiblesse des production et productivité internes, dépréciation officielle du dinar, importance du marché informel (33 à 37 % du PIB) et fraude fiscale et corruption (notamment la surfacturation à l’export).

Politique sociale

Face à ce « processus inflationniste », l’État, à l’aise au niveau macro-économique grâce aux recettes provenant des hydrocarbures, a boosté sa politique sociale : augmentation des salaires des fonctionnaires, exonération de l’IRG (impôt sur le revenu global) sur les bas salaires ; nouvelle allocation chômage (2 350 000 bénéficiaires en 2023) ; octroi de 36,49 milliards de dollars de transferts sociaux ; allocation de 20 % du budget de l’État à la subvention des produits laitiers, des céréales, de l’huile, du sucre et au raccordement en électricité, en gaz, en eau ; en plus de l’exonération, jusqu’à fin 2024, de la TVA sur la farine, la semoule, certains légumes, le poulet et les œufs…

Mais, prévient l’expert Mebtoul, « attention à la vision populiste : doubler les salaires sans contreparties productives entraînera une dérive inflationniste, un taux supérieur à 20 % qui pénaliserait les couches les plus défavorisées, l’inflation jouant comme distributeur au profit des revenus spéculatifs ».

Une baisse du pouvoir d’achat structurelle

Au-delà de ces boucliers budgétaires sociaux, les autorités ont tenté d’amortir le choc inflation-ramadan en amont depuis des mois en accroissant les capacités de production (passer de 50 à 100 % des productions des minoteries, par exemple), en libéralisant – conjoncturellement – l’importation en masse de la viande rouge et blanche, en octroyant un « chèque ramadan » aux familles nécessiteuses de 10 000 dinars (68 euros au taux officiel), en installant des « marchés de proximité » gérés directement par le ministère du Commerce, qui y fixe les prix, et même en appelant les producteurs à réduire les prix de différents produits de large consommation de 10 % au minimum, appel relayé par le CREA, un des syndicats de patrons les plus importants, dont les adhérents ont promis de réduire les prix de plus de 60 produits (agroalimentaire, appareils électroménagers, détergents), tout au long du mois sacré.À LIRE AUSSI Algérie : la spéculation et l’informel martyrisent le couffin du ramadan

Malgré cette batterie de mesures, et en dépit de la très relative baisse des prix, on constate toujours que faire ses courses reste un calvaire pour le porte-monnaie, même parmi la classe moyenne. « De fait, les prix de la viande rouge et blanche ne baissent pas, car ils ont augmenté bien avant le ramadan, souligne un restaurateur algérois. La spéculation est durement punie, par de la prison ferme, mais les réseaux sont trop puissants et les contrôles ne peuvent aller où bon leur semble. » Pour nombre d’observateurs, la baisse du pouvoir d’achat est plus structurelle et déborde le seul cadre de l’épisode ramadanesque à cause d’une conjoncture mondiale difficile et d’une politique économique interne qui hésite, depuis des décennies, entre ouverture et protectionnisme.


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