En Algérie, quand Zoubida Assoul se rêve à El Mouradia

En Algérie, quand Zoubida Assoul se rêve à El Mouradia

Lorsque l’avocate et opposante Zoubida Assoul, 68 ans, se présente, vendredi 1er mars, lors d’un point presse, pour annoncer sa candidature à la prochaine élection présidentielle, qui devrait se tenir en décembre 2024, elle se retrouve devant une poignée de journalistes qu’elle peut compter sur les doigts de la main.

« Nous avions pourtant invité tous les médias publics et privés », observe-t-elle avec une certaine amertume dans un entretien à Jeune Afrique. Boycott ou désintérêt des journalistes pour cette femme réputée pugnace et mordante ? Mme Assoul constate combien il est dur d’être opposant dans cette « Algérie nouvelle » qui vit un moment charnière de son histoire avec la possible reconduction du président Abdelmadjid Tebboune dans ce Palais d’El Mouradia qu’il occupe depuis décembre 2019.


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Mais pourquoi se porter candidate alors que, de son propre aveu, l’Algérie est devenue un pays « totalement verrouillé » ? « Le peuple a rempli sa mission en 2019 en faisant une révolution populaire qui a dégagé le régime de Bouteflika et s’est donné l’opportunité d’un avenir meilleur, dit la candidate. C’est le rôle des politiques de faire aboutir les revendications de cette révolution inachevée. » Vaste programme !

Défense des droits des femmes

Une bonne partie des électeurs qui seront appelés à voter à la fin de cette année n’était pas encore née lorsque Zoubida Assoul entame une carrière de juriste, au début des années 1980. Licenciée en droit privée, cette fille aînée d’une fratrie de deux frères et quatre sœurs devient avocate à l’âge de 26 ans.

L’une des causes qui lui tenait le plus à cœur à cette époque était la défense des droits des femmes. C’est donc tout naturellement qu’elle s’oppose, en 1984, à la promulgation du code de la famille, baptisé par ses détracteurs « code de l’infamie » pour son caractère discriminatoire à l’égard des femmes.

C’est le début d’une carrière qui fera d’elle la première femme nommée cadre supérieure au ministère de la Justice, puis inspectrice dans le même département. De la magistrature à la politique, elle saute le pays au début des années 1990 en faisant un bref passage au siège de la présidence pour travailler au sein du secrétariat général du gouvernement. Une riche expérience, reconnaît-elle, qui lui a permis de s’initier aux arcanes du pouvoir.


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Une autre expérience commence pour elle en 1994 avec sa désignation comme membre du Conseil national de la transition (CNT), une assemblée croupion dont les « élus » sont désignés et cooptés par la présidence de la République, l’armée et les services de renseignements et de sécurité. Elle y exerce les fonctions de rapporteur dans la commission des affaires juridiques jusqu’à la fin de mission du CNT, en 1997, avec l’élection d’une nouvelle assemblée pluraliste.

Elle manque même d’y laisser la vie lorsqu’un groupe terroriste fait irruption chez elle pour l’assassiner. Elle n’a dû son salut qu’à l’intervention in extremis des gendarmes. L’intermède CNT terminé, elle est admise à la retraite à l’âge de… 42 ans. Mais Zoubida Assoul ne s’y résout pas. Elle reprend sa robe noire pour redevenir avocate, plaidant aussi bien au pénal qu’au civil, en matière de statut personnel ou de foncier.


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Opposée au troisième mandat de Bouteflika

Quand elle ne plaide pas dans les prétoires, elle se consacre à la chose politique, qu’elle considère comme un sacerdoce. Son engagement la mène à s’opposer à la révision constitutionnelle imposée en octobre 2008 par le président Abdelaziz Bouteflika pour briguer un troisième mandat, alors que l’ancienne Constitution, adoptée en 1996, limitait à deux le nombre des mandats présidentiels.

Cet engagement et cette opposition à la présidence à vie la conduisent à créer, en 2013, avec un groupe d’amis et de militants l’Union pour le changement et le progrès (UCP), dont elle assure encore aujourd’hui la présidence.

Avocate, femme politique, citoyenne engagée, elle s’oppose en 2014 à la candidature de Bouteflika – dont la santé est déjà vacillante – à un quatrième mandat et plaide pour l’application de l’article 88 de la Constitution qui prévoit l’impeachment du chef de l’État en cas de maladie grave et durable. « On ne pouvait pas se taire devant cette violation de la loi fondamentale qui reconduit un président impotent, plaide-t-elle. Il était de notre devoir de s’opposer à la présidence à vie imposée par l’ancienne clique au pouvoir. »

Figure du Hirak

Puis arrive février 2019. Des millions d’Algériens descendent dans la rue pour dire non à un cinquième mandat de Bouteflika, réclamer la fin du système, exiger l’alternance au pouvoir et l’avènement d’une nouvelle république. Ce Hirak, qui a été un moment historique pour rompre avec certaines pratiques de gouvernance, Zoubida Assoul l’a embrassé au point d’en devenir l’une des figures de proue, même si elle se démarque de cette étiquette dont on l’a affublée.

La répression qui s’est abattue sur les militants de ce mouvement l’amène à s’engager comme avocate pour prendre la défense des prisonniers d’opinion, dont le nombre oscille entre 150 et 200. Journalistes, politiques, militants du mouvement associatif, elle sillonne le pays par route ou par avion pour plaider leurs dossiers, passe son temps dans les salles des tribunaux et dans les parloirs des prisons.

« Tout le monde a peur »

Ce travail de marathonienne au service des prisonniers d’opinion lui fait prendre conscience encore davantage du recul effarant et alarmant que connaît l’Algérie en matière de libertés publiques et individuelles. Zoubida Assoul parle alors d’un pays verrouillé, d’un climat d’inquiétude, de déprime et de désenchantement général.

« Tout le monde a peur car tout le monde redoute d’être jeté en prison, dit-elle. Les Algériens n’arrivent plus à se projeter dans leurs pays. Je ne compte pas le nombre de cadres, de chefs d’entreprise ou de simples citoyens qui me disent qu’ils n’ont qu’un souhait : celui de partir ailleurs. »

Comment répondre à cette dérive ? En s’engageant dans la course présidentielle, répond-t-elle, comme si cela était une évidence. Si elle admet avoir pleinement conscience que les espaces d’expression libres se sont rétrécis au cours des cinq dernières années, elle refuse de céder au défaitisme ou à la peur.

Prête à affronter Abdelmadjid Tebboune

« Le système aura des beaux jours devant lui si on pratique la politique de la chaise vide, argue-t-elle encore. Le boycott n’arrange que les tenants du pouvoir. » Alors, elle recommande que les citoyens s’inscrivent sur les listes électorales, qu’ils se rendent aux urnes pour voter et surveillent ces mêmes urnes. « Les garanties pour un scrutin loyal, c’est le peuple qui vote massivement pour les candidats qu’ils auront choisis librement », martèle Zoubida Assoul.

Redoute-t-elle une candidature de Abdelmadjid Tebboune à un second mandat et qui pourrait plier d’avance le scrutin ? Le président doit d’abord présenter le bilan de ses cinq ans à la tête de l’État, observe-t-elle. En attendant l’heure de ce bilan, Zoubida Assoul croit fermement que l’engagement politique et citoyen est la meilleure garantie pour l’alternance pacifique au pouvoir. « Il faut réenchanter notre avenir », plaide-t-elle.

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