Loi sur l’immigration en France, éternels schizophrénie et racisme des élites , Jeune Afrique
Loi sur l’immigration en France, éternels schizophrénie et racisme des élites
Depuis le printemps 2023, le gouvernement français a initié puis travaillé sur un projet de loi dit « Immigration, intégration, asile 2023 » dont l’objectif affiché est de contrôler l’immigration et améliorer l’intégration et l’asile. Il n’y a rien à redire. Chaque pays a le droit de définir des lois pour l’accueil des étrangers qui, pour une raison ou pour une autre, frappent à sa porte. Parfois d’ailleurs, c’est le pays lui-même qui s’en va les chercher pour ses propres besoins. À la fin des débats au Parlement, le 19 décembre 2023, la loi a été votée. La première à exulter, et à juste titre, a été Marine Le Pen, cheffe de l’extrême-droite française, pour se féliciter de cette « victoire idéologique ».
Défigurer la République
En effet, plutôt qu’une loi pour l’accueil des étrangers, on a voté une loi contre eux, essentiellement ceux qui sont déjà en place et qui, depuis des décennies, participent au développement de ce pays. Officiellement et explicitement, la loi a installé « la préférence nationale » au sein de la société française. Il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt en se méprenant sur la cible. Il est clair que les étrangers visés sont explicitement les Arabes (forcément musulmans) et les Négros (accessoirement africains), tous soupçonnés d’être les profiteurs des « largesses sociales » du pays et des criminels qui mettent en danger la sécurité des « Français de souche ». Entendez, de souche, non pas essentiellement gauloise, mais blanche et judéo-chrétienne. Un étudiant-chercheur africain me disait : « J’ai choisi la France pour ses valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. Mais cette loi immigration s’oppose à ces valeurs. » Un autre, artiste celui-là, a entrepris des démarches pour aller s’installer aux États-Unis d’Amérique. Il aurait déjà demandé et obtenu un visa en ce sens.
On nous affirme que 80 % des Français ne sont pas seulement d’accord avec cette loi, mais qu’ils la soutiennent fermement. On nous dit aussi – ceci expliquant cela quand on veut bien lire entre les lignes – que les priorités des Français s’appellent pouvoir d’achat, santé, injustices sociales. En instrumentalisant l’immigration pour en faire la « priorité » des Français, ce gouvernement pratique impunément la fuite en avant et il a décidé de gravement défigurer la République.
Il n’y a pas si longtemps, lorsque des journalistes me posaient la question : « Monsieur Yamgnane, pour vous, la France est-elle un pays raciste ? », je répondais invariablement « Non ! » En effet, il n’existait en France aucune loi, aucun organisme officiel que l’on pouvait qualifier de raciste. Il existait des racistes en France, mais la France n’était pas un pays raciste. Une fois quand même, je me suis interrogé. C’était en 2013 à Angers. Une petite fille a tendu une banane à Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice, et lui a dit, en ricanant devant un public et des journalistes éberlués, mais devant ses parents hilares : « Pour qui la banane ? Pour la guenon ! » Ce qui m’a aussi interpellé, c’est que François Hollande, dont une ministre se faisait ainsi insulter, n’avait pas trouvé le moindre mot pour venir en défense d’une valeur fondatrice de la République dont il était le président !
La doléance de Champagney
Je pense que c’est à ce niveau que le problème se pose en France. C’est au niveau des élites. En réponse à Nadine Morano qui disait que la France était un pays de race blanche, Gaston Kelman avait publié un étonnant livre dont le titre est La France, pays de race blanche… vraiment ? Un livre étonnant de témérité. Mais il est vrai que l’homme nous a toujours surpris avec ses positions iconoclastes, souvent avant-gardistes. Il développait la thèse selon laquelle la France serait le pays le moins raciste du monde, du moins du monde de ceux qui pensent le dominer et peuvent définir les différentes strates de l’humanité. Selon l’auteur, la France, la vraie, celle que l’on dit profonde, n’est pas raciste. Mais pour des raisons difficiles à expliquer, son élite l’est, avec la schizophrénie en plus.
La France, développait-il, est le pays au monde où le mariage mixte est d’une banalité absolue. Tout le monde sait que la frontière la plus inviolable du racisme, c’est celle de la mixité conjugale, celle du mélange de sang. Dans tous les pays où le racisme est structurel, les unions entre personnes de races ou de castes différentes sont prohibées. Quand c’est possible, elles sont punies par la peine de mort sur la personne jugée de race ou de caste inférieure. Les États-Unis d’Amérique et l’Afrique du Sud en ont été les modèles les plus accomplis dans l’histoire de l’humanité. On pense à la règle américaine de la goutte de sang – the drop of blood rule –, toute personne suspecte d’avoir une goutte de sang de la race inférieure est rejetée. C’est ainsi que les métis sont devenus des Noirs à la face de la terre, se voyant déniés une partie de leur patrimoine génétique : Obama n’a-t-il pas été qualifié de « premier président noir des États-Unis » ? On peut aussi citer les Békés des Antilles qui ont développé une consanguinité dégénérative parce qu’ils ne veulent pas se mélanger avec, notamment, les « descendants d’esclaves ».
En France, poursuivait-il, on se marie avec qui on veut. On s’installe là où on a les moyens de le faire. Puis il rappelait comment, en 1789, des villages français ont écrit des textes contre l’esclavage dans leurs cahiers de doléances. La plus emblématique, celle qui est passée dans l’histoire, c’est la doléance de Champagney, en Haute-Saône, dont l’article 29 est ainsi rédigé.
« Les habitants et communauté de Champagney ne peuvent penser aux maux que souffrent les Nègres dans les colonies, sans avoir le cœur pénétré de la plus vive douleur, en se représentant leurs Semblables, unis encore à eux par le double lien de la religion, être traités plus durement que ne le sont les bêtes de somme. Ils ne peuvent se persuader qu’on puisse faire usage des productions desdites colonies, si l’on faisait réflexion qu’elles ont été arrosées du sang de leurs Semblables : ils craignent avec raison que les générations futures, plus éclairées et plus philosophes, n’accusent les Français de ce siècle d’avoir été anthropophages, ce qui contraste avec le nom de Français et plus encore celui de Chrétien. C’est pourquoi, leur religion leur dicte de supplier très humblement Sa Majesté de concerter les moyens pour, de ces esclaves, faire des sujets utiles au Roy et à la Patrie. »
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Ce texte date de la Révolution française. Voilà la vraie France, la France profonde dans sa sagesse et dans son humanisme, la France éternelle que l’élite pervertit depuis des siècles sans jamais réussir à la faire dévier de son essence, même si des épisodes ponctuels peuvent faire croire le contraire. En effet, il faut savoir qu’au moment où les habitants de Champagney écrivaient cet article, l’élite française politique et intellectuelle théorisait sur l’infériorité, la sous-humanité et même l’inhumanité du même Nègre. Personne parmi l’élite n’y a échappé, aucune période, depuis les philosophes éclairés jusqu’aux romantiques. Et longtemps après, on rédigera le Code noir.
Loi scélérate
Les deux Frances continuent à cohabiter, celle des mariages mixtes à côté de celle des philosophes et des politiques schizophrènes. Le bon peuple de Bretagne et de Saint-Coulitz en particulier m’en ont magistralement administré la preuve. Mes enfants sont métis, même si on fait croire à la France qu’ils sont noirs. En même temps, les politiques et les intellectuels, dignes descendants de la caste « supérieure » continuent à bavasser. Pour illustration, Michel Onfray continue à penser que les cultures – qui définissent les peuples – ne sont pas égales et qu’aucun élément de l’art africain– tout un continent – ne vaut la chapelle Sixtine de Michel-Ange : « Il y a une espèce d’effondrement quand on considère que toutes les productions culturelles se valent », dit-il.
Et pour être encore plus clair, il ajoute : « Je suis moi-même collectionneur d’art africain, mais il ne me viendrait pas à l’idée qu’une statuette d’art africain, par exemple, tient le coup en face du plafond de la chapelle Sixtine, peint par Michel-Ange ». Admirez la belle comparaison ! Admirez l’incroyable mauvaise foi !
Et du côté politique, en plus de cette loi scélérate, on peut signaler un fait foldingue qui se déroule actuellement entre la France et le Cameroun. Au cours d’un récent passage dans ce pays, le président français, Emmanuel Macron, a été interpellé par les journalistes comme ses prédécesseurs avant lui, sur la déclassification des archives concernant les massacres que la France a commis au Cameroun pendant la guerre d’indépendance, qui ont entraîné des centaines de milliers de victimes civiles. Le président a promis de constituer une commission. Sitôt dit, sitôt fait. Et c’est là que la réalité va dépasser la fiction. La France unilatéralement nomme les deux présidents de la commission. Du côté français, elle choisit une historienne, pas très connue certes, mais « chercheuse associée » quand même. Du côté camerounais, la France choisit un… chanteur. Après la non-entrée sarkozienne de l’Afrique dans l’Histoire, le ridicule macronien.
Voilà donc les deux Frances qui cohabitent, celle éternelle, profonde, généreuse, humaniste, que l’on réussit à dévoyer une partie du temps, mais que l’on ne dévoiera pas tout le temps, et celle de l’élite, superficielle, dédaigneuse et donc, pourrait-on craindre : irrécupérable.
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