Le 6 novembre 1975, Hassan II lançait la Marche verte


Le 6 novembre 1975, Hassan II lançait la Marche verte

Plusieurs milliers de Marocains portant chacun un Coran et le drapeau de leur pays franchissent la frontière du Sahara occidental, à Tah, le 6 novembre 1975. © Frilet/SIPA

Plusieurs milliers de Marocains portant chacun un Coran et le drapeau de leur pays franchissent la frontière du Sahara occidental, à Tah, le 6 novembre 1975. © Frilet/SIPA

Publié le 6 novembre 2023

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Étrange Maroc. Ils sont venus. Ils sont tous là. Du bled, des villes, de l’Atlas, des oasis. Ils arrivent par wagons bondés dans la petite gare de Marrakech, avant-poste de la « marche verte » vers le Sahara encore espagnol. Par centaines de milliers, ils partent à la reconquête de ce territoire « spolié ». Pour armes et bagages, le Coran et quelques ustensiles de cuisine serrés à la hâte dans un baluchon. Le 16 octobre, le roi Hassan II lançait son appel. Et son « cher peuple » a immédiatement répondu présent.

Le soutien d’Omar Bongo, à Libreville

On escomptait 350 000 volontaires. Plus du double se sont inscrits. De tous âges, de toutes conditions, des femmes aussi, même des enfants. Mais surtout des jeunes, beaucoup de jeunes. Des fellahs, des ouvriers, des commerçants. Le président-directeur général de Maroc-Volvo a affrété un Boeing pour amener des volontaires marocains de la banlieue parisienne. On cite aussi, parmi les candidats à cette grande marche, les représentants de quelques grosses fortunes, tel Moulay Ali Kettani, de Casablanca. Il y a aussi Moulay Abdallah, le frère du monarque, et deux des princesses royales. Sans oublier les leaders de l’Istiqlal et du PPS (Parti du progrès et du socialisme). La majorité des pays arabes enverront des délégations pour participer à cette nouvelle croisade. Pour sa part, le président gabonais, Omar Bongo, a ordonné une marche symbolique à Libreville pour affirmer son soutien à l’opération marocaine.

Mis à part le précédent de Goa (la marche pacifique de Nehru sur la possession portugaise, en 1961), rien, depuis le Moyen-Âge et la croisade populaire de Pierre l’Ermite, n’a jamais mis en branle une foule aussi énorme de conquérants sans armes. De jour en jour, la « marche verte » s’enrichit de nouvelles épithètes, la « marche de l’unification », la « marche de la dignité », la « marche des retrouvailles », etc. Des femmes, la tête ceinte d’une longue écharpe verte, aux couleurs de l’étendard du Prophète, portant sur le flanc bouilloires et théières d’aluminium, attendent le départ vers Tarfaya, bourgade endormie dans les sables à la limite de la frontière fantôme. Cent quarante-cinq mille personnes y sont déjà rassemblées, attendant la seconde étape de la marche, la vraie, celle de la « reconquête » qui les conduira à Laâyoune, capitale de la colonie espagnole. Prévue pour le 28 octobre, elle a été plusieurs fois repoussée.

Foule en liesse, désarmée

L’attente aux portes du désert va-t-elle s’éterniser jusqu’à ce que soit trouvée une solution diplomatique entre l’Espagne et le Maroc ? Raisonnablement, les autorités des deux pays doivent aboutir à un compromis avant la seconde marche. Cette masse de conquérants pacifiques ne va pas sans inspirer des craintes politiques ni poser des problèmes matériels. Certes, en territoire marocain, les questions d’intendance semblent pour le moment résolues. Sept mille cinq cents camions ont été réquisitionnés pour transporter les nouveaux croisés de Marrakech et d’Agadir vers le sud. La nourriture sera distribuée. Des hôpitaux de campagne ont été installés de place en place.

Cette parenthèse dans la vie marocaine coûtera d’ailleurs fort cher à l’économie nationale. Camions et trains ne roulent plus que dans une seule direction, vers le sud, pour y transporter les marcheurs. Les exportations d’agrumes sont d’ores et déjà stoppées… faute de moyens de transport.

Au-delà de la frontière, imagine-t-on cette foule en liesse, désarmée… allant au-devant des quelque 60 000 soldats espagnols – autant que de Sahraouis – qui disposent de renforts importants et de Mirage aux Canaries ? Oublie-t-on que l’un des mouvements de libération du Sahara, le Front Polisario (Front populaire pour la libération de la Saguia El-Hamra et du Rio de Oro), se déclare prêt à riposter, même si ses moyens (la faible population du territoire) sont par la force des choses fatalement limités ?

Coup de poker

Croit-on aussi que l’on puisse lancer impunément plus de 700 000 personnes sur les routes pour délivrer « leurs frères vivant sous le joug colonialiste » ? Il est bien difficile d’imaginer qu’on ait pu prévoir les éventualités d’un retour qui risquerait d’être plus périlleux que l’aller. Si l’opération de Hassan II ne marche pas et si, par conséquent, elle ne se termine pas par un retour triomphal dans leurs douars et villes d’origine des masses mobilisées, on imagine aisément les innombrables problèmes auxquels devrait faire face le pouvoir, dans l’immédiat ou à terme. Une chose est de planifier la levée en masse et la marche pacifique, une autre d’assurer, en cas d’échec du coup de poker du roi, la retraite en bon ordre. Pour le moment, on n’en est pas là.

Comment expliquer le déferlement populaire qui n’a cessé de s’amplifier depuis l’appel du roi ? Faut-il y voir une manifestation du fameux chauvinisme marocain ou l’expression compréhensible d’un patriotisme profondément enraciné ? Hassan II est-il en train de réussir une formidable manipulation de foule ou bien son appel a-t-il été entendu parce qu’il exprime ce sentiment très répandu dans le pays que la conquête de l’indépendance voilà vingt ans a été obtenue au rabais puisqu’elle ne s’est pas accompagnée de la sauvegarde de l’intégrité du territoire national ?

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