quelle aide militaire française ?

quelle aide militaire française ?

Le ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, était en visite à Kiev, mercredi. L’occasion pour Paris de faire le point sur les besoins militaires du pays « pour les semaines à venir » mais, surtout, de réaffirmer son soutien à l’Ukraine.

C’était son premier déplacement en Ukraine depuis le début de l’offensive russe le 24 février 2022. Le ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, était à Kiev, mercredi 28 décembre. « Une visite hautement symbolique pour, avant tout, réaffirmer que la France se trouve dans le camp de l’Ukraine », analyse Antoine Fenaux, chroniqueur chez France 24.

Après avoir déposé une gerbe devant le « Mur des héros », un mémorial à Kiev consacré aux militaires tués sur le front depuis 2014, Sébastien Lecornu a indiqué avoir eu des échanges sur la « situation tactique et stratégique » sur le terrain et sur « les besoins de l’armée ukrainienne pour les semaines à venir ». De quoi « faire des propositions pour le mois de janvier pour redéfinir un agenda » commun sur le soutien militaire français, a-t-il expliqué, lors d’une conférence de presse avec son homologue ukrainien, Oleksiï Reznikov.

Devant la presse, le ministre français a également évoqué « un fonds innovant de 200 millions d’euros », qui permettra à l’Ukraine d’acheter directement du matériel auprès d’industriels français, en fonction des priorités de Kiev pour faire face à l’armée russe.

Mais quels matériels militaires la France a-t-elle déjà fourni ? Pourquoi est-elle parfois critiquée sur la question ? Comment évolue sa position face à la Russie ? France 24 fait le point.

Canons Caesar, missiles antichars, formation de soldats…

Jusqu’à présent, la France a fourni 18 canons Caesar de 155 mm avec des milliers d’obus, selon les chiffres communiqués par l’Élysée en octobre dernier. Produits par l’industriel français de l’armement Nexter, ces canons montés sur un camion, d’une portée de 40 km, sont très mobiles, ce qui en fait un important atout tactique. En parallèle, Paris a aussi envoyé une quinzaine de canons tractés TRF1 de 155 millimètres, les prédécesseurs des Caesar, moins maniables.

>> À lire sur France 24 : Avec les artilleurs ukrainiens qui utilisent des canons Caesar fournis par la France

Outre ces canons, la France a aussi fourni des missiles antichars, notamment des missiles Milan, adaptés contre les véhicules blindés et les bâtiments, et des missiles anti-aériens Mistral. 

L’armée française a en outre offert des véhicules de l’avant blindé, des véhicules de transport, des équipements individuels comme des casques et des gilets pare-balles ou encore des munitions et du carburant.

Accusée « de ne pas en faire assez »

Par rapport à certains voisins, cette liste semble relativement courte, alors même que l’armée française est considérée comme l’une des plus puissantes d’Europe occidentale, avec le plus grand effectif et le deuxième budget derrière l’armée britannique.

Selon les chercheurs de l’Institut Kiel pour l’économie mondiale, qui évaluent l’aide militaire fournie à l’Ukraine par différents pays, la France n’arrivait en décembre qu’en dixième position en terme de livraisons d’armes, bien loin après les États-Unis mais aussi le Royaume Uni, la Pologne ou l’Allemagne.

Une place qui lui vaut régulièrement des critiques, notamment au sein de l’opposition à Emmanuel Macron, jugeant que la France « n’en fait pas assez » pour aider Kiev. « C’est un mauvais procès. D’abord, parce que la France a commencé à s’engager avec les Ukrainiens bien avant le 24 février 2022 », rétorque sur France 24, Guillaume Lasconjarias, historien militaire. « Mais, surtout, parce que quand les Français annoncent une liste d’équipements qu’ils vont donner, ils le donnent réellement. Certains pays, à l’inverse, promettent des grandes choses mais la livraison se fait ensuite attendre, voire n’a pas lieu », dénonce-il.

Cette mauvaise position dans le classement tient aussi, selon les chercheurs de l’Institut Kiel, dans les stocks d’équipements disponibles. Les réserves, revendues ou démantelées, « ont globalement fondu entre 2007 et 2016 », constate le groupe de réflexion. Depuis la fin de la guerre froide, et au gré des crises économiques, la France a eu tendance à diminuer ses stocks en se débarrassant de ce dont elle ne se servait plus, notamment pour économiser des frais de maintenance.

« Le stock était considéré comme quelque chose qui prend de la place, qui demande des infrastructures, des moyens humains et financiers, donc on a privilégié ce qui existait : les forces actives, les outils qui étaient employés et employables pour les missions à un instant T », expliquait à RFI Léo Péria-Peigné, l’un des auteurs de l’étude. « Cela s’est fait au détriment de ce qui aurait pu être gardé pour une éventuelle guerre de haute intensité – que certains considéraient comme à peine possible à moyen terme. »

Résultat : là où d’autres pays ont pu puiser dans leurs propres stocks de long terme pour aider l’Ukraine, la France a dû prélever dans ses équipements déjà à l’emploi. À chaque livraison à l’Ukraine, elle rend donc son armée un peu plus vulnérable. À titre d’exemple, en offrant 18 canons Caesar, elle s’est privée d’un quart de son artillerie mobile. Même constat du côté des munitions : un rapport parlementaire a récemment révélé que « les contrats actuels permettent de financer 6 000 coups par an, voire 9 000 coups au maximum », soit à peine 25 par jour. Aujourd’hui, l’Ukraine tire environ 6 000 coups par jour, contre 25 000 par la Russie, selon Guillaume Lasconjarias. 

« Quoiqu’il en soit, la question est moins de savoir ce que la France est en capacité d’offrir mais de savoir ce qui sera vraiment utile pour Kiev », insiste l’historien militaire. « Lorsqu’on parle d’équipements militaires, il n’est pas uniquement question de livraisons. Derrière il y a aussi ces questions de main d’oeuvre, de maintenance… Il faut se poser trois questions : de quoi les soldats ukrainiens ont besoin ? Quel délai sera nécessaire pour les former à ces outils ? Et quelle maintenance faudra-t-il mettre en place ? »

Des questions auxquelles Sébastien Lecornu aura essayé de trouver des réponses à Kiev. « La lutte et la défense antiaérienne », « les systèmes d’artillerie comme les Caesar » français, l’approvisionnement en munitions et en véhicules blindés, ainsi que la lutte « contre les drones iraniens » font actuellement partie des priorités de l’armée ukrainienne, a d’abord listé le ministre des armées ukrainiens Oleksiï Reznikov. Mais les deux hommes ont aussi évoqué la question des réparations des équipements militaires occidentaux endommagés sur le champ de bataille. « La maintenance de ce qui a été déjà donné à l’Ukraine est tout aussi importante que les équipements nouveaux », a affirmé Sébastien Lecornu.

Un changement de doctrine

Ces déclarations de Sébastien Lecornu viennent s’ajouter à plusieurs promesses de nouvelles livraisons d’armes à l’Ukraine en 2023. Le 20 décembre, Emmanuel Macron avait indiqué avoir déjà livré des lance-roquettes et des batteries de missiles Crotale à Kiev. Dans la foulée, il avait aussi annoncé poursuivre les livraisons d’armements début 2023, évoquant notamment de nouveaux canons Caesar. Il ne s’était cependant avancé sur aucun chiffre, ces armes étant prélevées sur une commande destinée initialement au Danemark. De son côté, Sébastien Lecornu, avait annoncé en octobre la formation de 2 000 soldats ukrainiens.

« À travers ces annonces, la France montre aussi une évolution dans sa doctrine militaire dans la guerre en Ukraine », analyse, par ailleurs, Antoine Fenaux. « Paris a longtemps entretenu un flou sur sa position dans le conflit, notamment lorsqu’elle avait appelé à ‘ne pas humilier la Russie’ ou encore à ‘négocier la paix avec Moscou’ – deux déclarations qui avaient été vivement critiquées par Kiev », rappelle-t-il.

En effet, si la France a toujours condamné ouvertement l’agression russe, elle a aussi longtemps tenté de préserver un canal de communication avec Vladimir Poutine. Dans les premières semaines après le début de la guerre, elle assurait ainsi vouloir limiter son aide « à des équipements défensifs et à un soutien en carburant ». Ce n’est que fin avril, en pleine campagne présidentielle, qu’Emmanuel Macron avait annoncé avoir livré des missiles et des canons Caesar à l’Ukraine.

« Aujourd’hui, avec visite de Sébastien Lecornu, elle veut afficher clairement dans quel camps elle se trouve », poursuit le chroniqueur. « D’ailleurs, en cela, la grande conférence de soutien à l’Ukraine organisée en grande pompe à Paris mi-décembre avait aussi eu une forte portée symbolique. » Une réunion qui aura permis d’engranger près d’un milliard d’euros de dons.

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