Afrique – États-Unis : après le sommet, un nouveau départ ?


Afrique – États-Unis : après le sommet, un nouveau départ ?

À l’observation du dernier sommet Afrique – États-Unis, qui a réuni du 13 au 15 décembre à Washington 49 chefs d’État ou de gouvernement, on pourrait reprendre fort à propos, pour résumer cette grand-messe, le titre de l’essai du professeur Bertrand Badié, Le Temps des humiliés – Pathologie des relations internationales (Odile Jacob, 2014).

Le sommet de 2022 s’est tenu huit ans après la première rencontre du genre, sous la présidence de Barack Obama, en 2014. Son successeur, Donald Trump, qui ne faisait guère mystère de son désintérêt condescendant pour l’Afrique, a en effet supprimé ce sommet de son agenda diplomatique durant son bail à la Maison-Blanche.

Des cartes redistribuées par la guerre en Ukraine

En 2022, force est de constater que l’Afrique se réinstalle au centre des grandes dynamiques géopolitiques. Cela devrait d’ailleurs aller de soi au regard de son exceptionnel dynamisme démographique et de son fabuleux potentiel économique. Or, deux ans plus tôt, au plus fort de la pandémie de Covid-19, les grands pôles de puissance – à l’exception notable de la Chine – se calfeutrèrent dans la seule défense de leur population, s’illustrant davantage par des déclarations de bonnes intentions que par leurs actes, alors que des signaux alarmistes annonçaient une catastrophe sanitaire en Afrique.

Le sommet qui s’est récemment tenu dans la capitale américaine peut être perçu, à juste titre, comme la conséquence sui generis d’une spectaculaire redistribution des cartes, inenvisageable il y a encore deux ans sur la scène diplomatique mondiale. On a beau invoquer la lutte d’influence à laquelle se livrent les grandes puissances en Afrique, cette bataille géopolitique est cependant vieille de près de deux décennies.

C’est en réalité la guerre que la Russie a déclarée à l’Ukraine et les alliances créées – ou en gestation – à la faveur de cette conjoncture qui ont servi de catalyseur à la volonté de refondation de la politique étrangère des États-Unis en Afrique. À cet égard, le récent sommet de Washington s’inscrit dans la vision du sommet de G7 de juillet en Allemagne, à l’issue duquel ses États membres ont décidé d’investir en Afrique, notamment dans les infrastructures, 600 milliards de dollars sur cinq ans, pour faire concurrence à l’initiative chinoise des nouvelles routes de la soie.

L’ombre de Wagner

L’autre pan de ce nouvel échiquier, c’est l’implantation militaire de la Russie en Afrique, au cœur de la chasse gardée d’un allié historique des États-Unis, membre éminent de l’Alliance atlantique, la France. Après la République centrafricaine et le Mali, c’est désormais le Burkina Faso qui aurait donné mandat au groupe Wagner pour la reconquête de son intégrité territoriale.

L’importance des enjeux géostratégiques dans le golfe de Guinée et les rôles clés que tiennent les territoires de ces États dans cette région du monde ne peuvent guère laisser les États-Unis indifférents. Au regard de la nouvelle configuration des pôles de puissance qui se dessinent, l’Afrique, à l’instar de l’espace indopacifique, constituera l’un des théâtres majeurs des luttes d’influence et des batailles hégémoniques à venir.

Transitions démocratiques

Dans cette architecture nouvelle, l’Afrique est-elle vouée à demeurer une simple variable d’ajustement comme durant le siècle dernier ? S’agit-il, pour les États-Unis, de bâtir avec les peuples d’Afrique un nouveau modus operandi autour des valeurs de paix, de justice, de démocratie ? Dans l’une des résolutions du sommet de Washington, les États-Unis ont annoncé un fonds de 75 millions de dollars pour soutenir les « transitions démocratiques complexes ».

On ne peut s’empêcher de relever que, tant dans ses termes de référence que dans sa mise en œuvre, ce projet est aussi nébuleux que la Fondation de l’innovation pour la démocratie annoncée par Emmanuel Macron lors du sommet Afrique-France de Montpellier en octobre 2021 et officiellement lancée à Johannesburg un an plus tard.

Pragmatisme américain

L’histoire diplomatique des États-Unis foisonne de reniements, chaque fois qu’il a fallu garantir ses intérêts stratégiques. Récemment, le retour spectaculaire en grâce de Mohamed ben Salmane dans les petits carnets diplomatiques de Joe Biden, qui l’avait pourtant déclaré infréquentable après l’assassinat du journaliste Jamal Kashogghi, a fini par convaincre ceux qui en doutaient encore que le locataire de la Maison-Blanche est un digne continuateur du pragmatisme américain dans le champ sinueux des relations internationales. Comme en témoigne, par ailleurs, le casting du sommet de Washington.

Les États-Unis vont-ils, comme la Russie et la Chine, se résoudre à une neutralité froide au nom de la souveraineté des peuples à disposer d’eux-mêmes ? Ou feront-ils progresser en Afrique les principes de liberté et de démocratie qu’ils assument comme leurs marqueurs identitaires ?

Les États-Unis devront miser sur la jeunesse africaine, en privilégiant des politiques de coopération décentralisée

C’est en réalité le dilemme de la diplomatie américaine en Afrique pour les prochaines décennies. Autant que faire se peut, ils devront miser sur la jeunesse africaine, en privilégiant des politiques de coopération décentralisée essentiellement tournées vers la valorisation de son immense potentiel créateur. Car c’est de cet immense capital humain qu’émergeront les leaders de demain avec lesquels les États-Unis pourront construire les fondations d’un nouvel espace de civilisation autour de valeurs partagées et d’une vision commune d’un monde confronté à des défis planétaires sans précédent.

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