Pourquoi la couronne de la reine Camilla menace le royaume et provoque la colère de l’Inde

Pourquoi la couronne de la reine Camilla menace le royaume et provoque la colère de l’Inde

Dans la couronne que Camilla doit porter est serti un joyau aussi mythique que politique. L’Inde réclame sa restitution. Face au tollé diplomatique, la reine consort risque de ne pas arborer le fameux Koh-i-Noor
lors du couronnement.

Pauvre Camilla ! Elle ne s’est pas installée dans son rôle de souveraine consort qu’elle se retrouve, au sens imagé du terme, avec un caillou coincé dans sa royale chaussure : le diamant Koh-i-Noor, en persan « Montagne de lumière », l’une des plus grosses et plus anciennes gemmes jamais découvertes en Inde, 105 carats, une pureté minéralogique exceptionnelle et une valeur de 200 millions d’euros au bas mot.

Un diamant de la taille d’un oeuf

Quand le Premier ministre indien, Narendra Modi, a appris que Camilla, le jour du sacre de Charles III, entendait respecter la tradition et porter la couronne dont cette pierre est l’ornement le plus spectaculaire, il a vu le parti qu’il pouvait en tirer et a lâché que cette décision était très malvenue : « Elle rappellerait des souvenirs douloureux du passé colonial de l’Empire britannique en Inde. » Phrase d’apparence anodine mais qui a transformé ce diamant de la taille d’un œuf en grenade diplomatique dégoupillée.

La suite après cette publicité

La couronne de la reine Elizabeth, la mère d’Elizabeth II, ornée de 2 200 diamants, dont le célèbre Koh-i-Noor (à dr.). Camilla doit la porter le jour du sacre de Charles III, le 6 mai 2023.


La couronne de la reine Elizabeth, la mère d’Elizabeth II, ornée de 2 200 diamants, dont le célèbre Koh-i-Noor (à dr.). Camilla doit la porter le jour du sacre de Charles III, le 6 mai 2023.


©
Getty Images

Car, pour mieux faire passer le message à Buckingham, les tonitruants leaders du parti de Modi, le BJP, se sont chargés de l’explication de texte : les « souvenirs douloureux » désignent la manœuvre frauduleuse utilisée en 1849 par un gouverneur anglais afin de soutirer à un jeune et naïf prince indien ce fameux Koh-i-Noor dont il avait hérité de son père.

La suite après cette publicité

Le poids de la couronne sur les relations entre la Grande-Bretagne et l’Inde

Autrement dit : pour peu que Camilla persiste dans son intention de porter la couronne ornée du Koh-i-Noor le jour du sacre de Charles, les relations entre la Grande-Bretagne et l’Inde, déjà tendues, en seraient très gravement affectées ; et comme le PIB indien, sixième mondial, met Modi en position de force, les Anglais, déjà affaiblis par le Brexit et inquiets quant à l’avenir du Commonwealth, seraient bien avisés de rapporter au plus vite à Delhi la gemme si malhonnêtement acquise.

Dans la foulée, les soutiens de Modi ont embouché les trompettes de l’humiliation postcoloniale : « Ce diamant symbolise le lien de la monarchie britannique avec un passé barbare et exploiteur ! » tandis qu’un spécialiste de la propagande numérique inondait les réseaux sociaux indiens de furibonds : « Rendez-nous le Koh-i-Noor ! » 

La suite après cette publicité

La suite après cette publicité

Impossible de tracer l’origine de la gemme

Camilla, reine sans couronne ? La voici en tout cas dans de beaux draps. S’attendait-elle à devenir l’otage des mouvements décoloniaux ? Elle ne pouvait pas ignorer le litige : il ne date pas d’hier, loin s’en faut. Des années que les gouvernements britanniques font fi des pétitions indiennes qui réclament la restitution de la gemme. Sans résultat. Et pour cause : impossible de tracer son origine. Non seulement on ignore où et quand elle a été découverte, mais elle a suscité tant de convoitises qu’elle n’a cessé d’être volée. Par ruse et surtout par force, ce qui lui a valu d’être surnommée « le diamant le plus sanguinaire du monde ». 

Selon les hindouiste, le diamant a été découvert par le fils du dieu Soleil

Peu importe à Modi et à ses soutiens, dont le fanatisme religieux hindouiste n’a rien à envier à l’intolérance islamiste. Pour fonder leur revendication, ils s’appuient sur de très vieux textes mystico-mythologiques qui remontent à plusieurs millénaires avant J.-C. Selon eux, c’est le fils du dieu Soleil qui aurait découvert la gemme, sur la berge d’un fleuve de l’Inde centrale. Ça ne lui porte pas chance : très vite, les pouvoirs magiques de cette pierre déclenchent une série phénoménale de vols, de meurtres et de conflits divers, où sont impliqués, à tort ou à raison, un lion, des ours et le dieu Krishna en personne.

Incrusté dans le front d’une déesse pour figurer son 3e oeil

Mais il est peu probable qu’une pierre de cette taille ait pu surgir par enchantement des sables d’une rivière. Plus vraisemblablement, comme d’autres gemmes aussi impressionnantes, le joyau a été extrait au XIVe siècle de notre ère d’une mine du royaume de Golconde, puis proposée à la vente dans le Jardin des gemmes, ce fabuleux marché aux diamants qui se tenait chaque vendredi à l’ombre de la forteresse du potentat local. On signale ensuite sa trace dans un temple de la région, où il est incrusté dans le front d’une déesse pour figurer son troisième œil. Mais rien ne prouve que ce soit le Koh-i-Noor. Il s’agit peut-être d’une pierre assez grosse et brillante pour avoir marqué les contemporains. 

En revanche, deux siècles plus tard, les Mémoires du premier empereur moghol, Babur, musulman originaire d’une partie du Turkestan actuellement rattachée au territoire ouzbek, décrivent incontestablement le diamant qu’on appellera plus tard le Koh-i-Noor ; et comme il a réussi à faire main basse sur lui, il précise que les rajahs locaux, de toute façon, n’avaient pas cessé de se le voler les uns aux autres…

Dans la salle du trône au Taj Mahal

Conscients de sa valeur, ses successeurs, les célèbres Grands Moghols, Humayun, Akbar, Shah Jahan et les autres, tous de confession musulmane, veillent sur le diamant comme sur la prunelle de leurs yeux et, pendant les trois cent trente et une années d’un empire sans partage, en font l’emblème de la brillante culture indo-persane qui se développe alors en Inde. Ainsi l’empereur Shah Jahan, bâtisseur par ailleurs du Taj Mahal, le fait incruster au cœur du marquetage de 26 733 autres pierres précieuses qui décorent son légendaire trône du Paon en or massif.

Sa renommée attire un diamantaire français

La légende se répand alors que, avec le prix du diamant, le souverain aurait nourri la population de la planète pendant deux jours et demi… C’est donc tout naturellement que sa renommée attire à Delhi le diamantaire français Tavernier, qui fournit en pierres précieuses une bonne partie des cours européennes. Il parvient à se faire admettre dans la légendaire salle du trône et à en faire des croquis. Il ne les légende pas : usage courant à l’époque, il n’a toujours pas de nom.

Le diamant de toutes les convoitises

Il le recevra soixante-dix ans plus tard par un de ses nouveaux voleurs, Nadir Shah, brigand de grand chemin si sanguinaire que, de fils de berger, il est devenu shah de Perse. Quand il apprend que son contemporain moghol préfère les délices de son harem à l’exercice du pouvoir, il décide de ne faire qu’une bouchée de l’Inde. En 1739, il dévaste Delhi, ravage le fort impérial et, entre autres trésors, embarque la gemme dans ses coffres, fasciné par son éclat. 

La reine Alexandra portant la précieuse coiffe à l’occasion du sacre de son mari, Édouard VII, en 1902.


La reine Alexandra portant la précieuse coiffe à l’occasion du sacre de son mari, Édouard VII, en 1902.


©
Getty Images

C’est paradoxalement dès qu’il reçoit ce nom radieux qu’une lugubre rumeur commence à s’attacher au diamant. Imprudent, Nadir Shah l’expose dans la capitale de son fief afghan ; deux ans après, il manque d’être assassiné. Il accuse son fils du forfait et lui crève les yeux, ce qui ne lui évite pas de succomber six ans plus tard sous le sabre d’un neveu. Sa première femme, maligne, a déjà mis la main sur le Koh-i-Noor. Futé lui aussi, l’ancien bodyguard de feu son mari lui propose ses services. Ils ne se limitent peut-être pas à la protection du diamant car la veuve finit par lui en faire cadeau.

Sans surprise, il file tout de suite à Kandahar où il fonde l’actuel Afghanistan. Il reste sur ses gardes : la pierre reste dans sa famille pendant trois générations. Malheureusement, au moment où son petit-fils en hérite, le shah d’Iran l’attaque. Il s’enfuit. La route Jalalabad-Kaboul n’est pas plus sûre qu’en notre moderne ère talibane ; il se fait capturer par une tribu si farouche qu’elle lui crève les yeux avec une aiguille, avant de l’enfermer dans une tour sévèrement gardée. Le malheureux aveugle réussit malgré tout à sauver la pierre et à la dissimuler dans une faille du mur de sa cellule.

La future Elizabeth II, 11 ans, avec sa mère la reine Elizabeth pour l’intronisation de George VI, en 1937.


La future Elizabeth II, 11 ans, avec sa mère la reine Elizabeth pour l’intronisation de George VI, en 1937.


©
Abaca

Quelques années après, nouveau rebondissement façon Alexandre Dumas : son frère accède au pouvoir, remue ciel et terre pour retrouver le Koh-i-Noor et finit par le découvrir chez un mollah qui l’a pris pour un gros caillou aussi pratique que décoratif et s’en sert comme presse-papiers. Le frère le récupère, mais un féroce ennemi, le Sikh Ranjit Singh, alias « le Lion du Penjab », surgit chez lui et le torture jusqu’à ce qu’il lui lâche le diamant. Le sikh, par ailleurs plutôt sagace, est si éperdument épris de sa pierre qu’il l’exhibe à son poignet quand il part en guerre, histoire de démontrer à l’ennemi qu’avec ce talisman il serait inconsidéré de se mesurer à lui.

La rumeur que la pierre porte malheur continue à circuler

Il accumule du même coup une fortune phénoménale mais excite aussi les convoitises et, parallèlement, la rumeur que la pierre porte malheur continue à circuler. De fait, à sa mort, en 1839, une série de drames s’abat sur sa famille. Son fils aîné, successeur désigné, meurt dans l’année. Son petit-fils prend la suite mais décède douze jours après son accession au trône. Le suivant, le frère de feu le Lion du Penjab, est vite assassiné. Lui succède le plus jeune de ses fils, Dhulip Singh, qui n’a pas 5 ans. 

Le Koh-i-Noor abandonné à la reine Victoria

Mais le gouverneur général des Indes anglaises lorgne depuis longtemps sur la fortune de Rangit Singh et profite de l’âge tendre du nouveau maharaja pour lui déclarer la guerre. L’Anglais remporte assez vite la victoire et c’est le plus facilement du monde qu’il contraint le jeune prince à apposer sa signature sur un accord de paix au terme duquel il abandonne, entre autres, le Koh-i-Noor à la reine Victoria.

Seul un dieu ou une femme pourra le porter sans encourir de risque

Dhulip Singh a 11 ans, on l’a séparé de ses proches. C’est seulement lorsqu’il a grandi et qu’on l’invite en Angleterre qu’il mesure l’étendue du désastre. Mais la rumeur qui veut que le diamant soit chargé d’ondes funestes a pris de l’ampleur. Lorsqu’on l’embarque sur le navire chargé de l’acheminer en Angleterre, il est assorti d’une note sans doute rédigée par un Indien : « Le propriétaire de ce diamant sera également propriétaire du monde mais il connaîtra aussi tous ses malheurs. Seul un dieu ou une femme pourra le porter sans encourir de risque. »

Victoria, en toute logique, aurait pu l’arborer. Mais elle a noté que le navire qui a transporté le Koh-i-Noor a failli sombrer dans une tempête, qu’une partie de ses passagers ont été victimes d’une épidémie de choléra. En cette même année 1850, un Irlandais a aussi manqué de l’abattre d’un coup de pistolet et un militaire brindezingue a testé la solidité de son crâne impérial en lui assénant des coups de canne.

Exposé à Londres en 1852

Elle a, malgré tout, la bonté d’âme de recevoir le malheureux prince spolié. Pas dupe, il ressort de chez elle en grinçant qu’il a autant de droits sur le château de Windsor qu’elle en a sur le Koh-i-Noor, puis la surnomme « madame Fagin », en allusion au personnage de Dickens qui enseigne à Olivier Twist le vol à la tire. Plutôt bien vu puisque c’est par bateaux entiers que les Britanniques ont transporté chez eux des monceaux d’objets pillés en Inde, dont les archives de l’Inde moghole.

Le Koh-i-Noor est exposé à Londres lors de l’exposition universelle de 1852 pour symboliser « l’empire sur lequel le soleil ne se couche jamais ». La salle est mal éclairée et les Anglais ne voient en lui qu’un gros caillou grisâtre. Vexée, Victoria le confie à un joaillier qui sacrifie 40 % de la gemme pour lui conférer son éclat actuel avant de le fixer sur une couronne qui sera strictement portée par les épouses royales le jour du couronnement de leur époux. Dans les années 1930, la grand-mère de Charles, prudente, fait monter la gemme sur une monture amovible.

pourquoi le rendre à l’Inde plutôt qu’aux autres pays qui le revendiquent eux aussi ?

Voilà qui offre à Camilla un plan B : avant le couronnement, pourquoi ne pas remplacer le diamant litigieux par un cristal ? Ou carrément renoncer à porter la couronne pour éviter de porter le chapeau. Pour la remplacer, elle n’aura que l’embarras du choix : Elizabeth II a légué à Charles une bonne cinquantaine de tiares. Car la restitution du Koh-i-Noor, pour l’instant, n’est pas à l’ordre du jour : pourquoi le rendre à l’Inde plutôt qu’aux autres pays qui le revendiquent eux aussi, l’Iran, l’Afghanistan, le Pakistan, le Bangladesh et même l’Ouzbékistan ?

Charles III, accompagné du prince William, dirige pour la première fois cette cérémonie dédiée aux victimes britanniques et du Commonwealth des guerres des XXe et XXIe siècles.


Charles III, accompagné du prince William, dirige pour la première fois cette cérémonie dédiée aux victimes britanniques et du Commonwealth des guerres des XXe et XXIe siècles.


©
Abacapress.com

Le gouvernement de Sa Majesté – pas très courageux en la matière puisque, juridiquement, le Koh-i-Noor appartient au peuple britannique –, a laissé la décision à Charles. Côté opinion publique, nul danger : pour les Anglais, le nom du Koh-i-Noor évoque surtout des restaurants indiens ou une marque de papeterie. Quant aux Indiens, hormis les élites cultivées, ils ignorent l’histoire du diamant, préfèrent se soucier du cours du riz, et la propagande du BJP n’a pas fait recette. On compte donc sur les talents diplomatiques de Charles pour ménager la chèvre et le chou, à savoir Modi et la tradition monarchique.

Mais aucun danger qu’il imite le cri que Shakespeare prête à son ancêtre Richard III dans la tragédie éponyme : « Mon royaume pour un cheval ! » et qu’il s’exclame : « Mon royaume contre le Koh-i-Noor ! » Il a tellement attendu de monter sur le trône qu’il n’a pas envie de gâcher la fête. 

Cet article est apparu en premier sur https://www.parismatch.com/royal-blog/joyau-politique-la-couronne-de-camilla-menace-le-royaume-218917


.