Gayle Smith : « En Afrique, les États-Unis n’ont pas pour seul objectif de contrer la Chine et la Russie »


Gayle Smith : « En Afrique, les États-Unis n’ont pas pour seul objectif de contrer la Chine et la Russie »

L’ACTU VUE PAR – L’Afrique n’a jamais vraiment quitté Gayle Smith. À la tête de l’ONG humanitaire ONE depuis 2017, cette ancienne conseillère des présidents Obama et Clinton sur les questions internationales a découvert le continent dans les années 1980, en tant que journaliste. Elle a notamment dirigé la cellule des affaires africaines au sein du Conseil national de sécurité des États-Unis, de 1998 à 2001.

D’avril à novembre 2021, elle met temporairement ses activités chez ONE entre parenthèses, après avoir été choisie par l’administration Biden pour piloter la coopération sanitaire internationale de Washington face à la recrudescence de l’épidémie de Covid-19 liée au variant Omicron.

Aujourd’hui fortement investie dans les thématiques de développement, elle revient sur plusieurs enjeux actuels auxquels est confronté le continent.

Jeune Afrique : Le 8 août, les États-Unis ont présenté leur nouvelle stratégie en Afrique, qui vise notamment à « contrer l’influence de la Russie et de la Chine ». Compte tenu du retard accumulé, n’est-il pas déjà trop tard ?

Gayle Smith : Tout d’abord, la diplomatie américaine en Afrique n’a pas pour seul objectif de contrer la Chine et la Russie. Les liens forts qui nous unissaient déjà du temps où j’exerçais sous la présidence Clinton n’ont fait que se renforcer depuis. Les États-Unis ont des intérêts clairs en Afrique, et il est très important de poursuivre cette collaboration, en particulier dans le domaine des investissements. Je ne pense pas qu’il soit trop tard, même si beaucoup de choses restent à faire.

Les États-Unis ont toujours eu de bonnes relations avec l’Union africaine, ainsi qu’avec l’Afrique dans son ensemble. Le passé fait que nous partageons une longue histoire avec le Nigeria, le Kenya ou encore l’Afrique du sud. Il y a très peu de pays dont on pourrait dire que les relations avec Washington sont mauvaises, car l’engagement américain sur le continent est global.

Dans ce contexte, qu’attendre du sommet américano-africain prévu le 13 décembre à Washington ?

Je ne peux pas vous dire ce qu’il va se passer, mais je peux vous dire ce que j’aimerais voir se concrétiser. Je souhaite que cet évènement marque un véritable approfondissement de notre relation et de notre coopération sur les grands enjeux mondiaux, en mettant l’accent sur les problèmes économiques.

Le continent a été frappé par des crises successives, liées à la pandémie de Covid-19 puis à la guerre en Ukraine, et fait maintenant face à une flambée des prix de l’énergie et de l’alimentation.

Beaucoup de pays africains n’étaient pas aussi préparés pour affronter ces difficultés que pouvaient l’être les États-Unis ou la France. J’espère donc que cet évènement permettra d’aborder le sujet de la dette, de l’inflation, sans oublier les sujets multilatéraux de développement économique entre les acteurs privés et publics. Ce sommet constituera un tournant pour les États-Unis, et j’espère que les leaders africains viendront nombreux pour exprimer leurs positions et partager leurs aspirations.

Alors que plusieurs régions du monde sont confrontées à une recrudescence de cas de contamination de Covid-19, avons-nous tiré les enseignements des deux dernières années en la matière ? Où en est l’Afrique dans sa capacité à produire ses propres vaccins ?

La réponse globale apportée à la crise du Covid a sans aucun doute été de nature très inéquitable, du moins si l’on prend l’accès aux vaccins. L’African Vaccine Acquisition Trust et l’Union africaine ont été des outils de coordination très importants.

L’administration Biden a acheté un milliard de doses, dont beaucoup sont encore disponibles et pourront être distribuées si nécessaire. Le défi que représente la vaccination en Afrique n’est pas uniquement celui de l’approvisionnement, mais également celui des ressources nécessaires (infrastructures, personnel) pour les administrer une fois les doses reçues.

L’une des principales conséquences de cette pandémie est la prise de conscience collective de notre dépendance au marché extérieur, sur les vaccins mais également dans d’autres secteurs. Il existe des discussions entre les pays afin de trouver un moyen de parvenir à l’autosuffisance. Les choses bougent, mais ce processus prend du temps.

L’aide financière à destination de l’Afrique est-elle toujours efficace ?

Pour que l’assistance soit efficace, il faut réunir plusieurs facteurs. Rappelons que la majeure partie des aides financières fournies par les États-Unis ne va pas directement aux gouvernements, ce qui implique la nécessité de réunir des partenaires fiables des deux côtés. La notion de transparence est elle aussi essentielle, notamment pour que les populations sachent où vont les aides et comment celles-ci sont utilisées.

L’évaluation constitue également une étape fondamentale. Lorsque j’ai dirigé l’Agence des États-Unis pour le Développement international, sous l’administration Obama, nous avons augmenté les moyens alloués aux évaluations, afin de déterminer ce qui fonctionne ou non.

Dans certains cas, nous nous sommes aperçus que le programme que nous avions mis en place n’était pas aussi optimal que nous l’espérions : grâce aux évaluations, nous avons pu les ajuster en cours de route.

Avez-vous un exemple ?

Prenez le secteur de l’éducation primaire, auquel le gouvernement américain accorde beaucoup d’aides : notre priorité était de mettre davantage d’enfants à l’école. Mais en cours de route, notre évaluation a montré que, bien que le nombre d’enfants scolarisés ait effectivement augmenté, le nombre d’élèves en capacité de lire n’avait pas beaucoup évolué.

Nous avions donc concentré tous nos efforts dans le seul objectif de faire entrer les enfants à l’école, sans tenir compte de la capacité des établissements, à la fois en termes de matériel et de personnel, à assurer cet apprentissage. Nous avons retravaillé la problématique, et formé des professeurs afin d’avoir un programme de développement le plus complet possible.

L’aide est un outil important mais n’a pas vocation à servir de moteur principal au développement. Elle sert à fournir aux pays qui en bénéficient les moyens d’acquérir leurs propres ressources, et de réaliser leurs propres investissements.

Certaines missions onusiennes sont parfois critiquées pour leur manque d’impact sur le terrain, et leur incapacité à réellement à peser sur les conflits. Faut-il renforcer leurs prérogatives ?

Certaines des missions de l’ONU ont été très efficaces, d’autres moins car elles n’ont pas les leviers pour peser sur le cours des choses. Il faut regarder les propositions de l’UA en matière de résolution des conflits, et comment fonctionnent leurs missions de maintien de la paix, qui osent prendre des risques lorsque la situation l’impose malgré le caractère dangereux de certaines opérations.

Or, les organisations internationales ont de l’aversion pour le risque, et craignent généralement que les choses tournent mal alors que parfois, ne pas prendre les décisions nécessaires comporte tout autant de risques.

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