N’Zui Manto, lanceur d’alerte à l’origine de l’affaire Bopda et justicier de la Toile

N’Zui Manto, lanceur d’alerte à l’origine de l’affaire Bopda et justicier de la Toile

Il est l’homme qui a fait éclater le scandale. Le 19 janvier, lorsque N’Zui Manto publie sur ses comptes Facebook et X le témoignage d’une femme qui dit avoir été giflée et menacée avec une arme à feu par Hervé Bopda, un homme d’affaires bien connu à Douala, la capitale économique du Cameroun, il est loin de s’imaginer qu’il vient d’ouvrir « une boîte de Pandore ». Et que l’agresseur présumé, habitué des soirées de la jet-set locale, sera arrêté deux semaines plus tard.

Le lanceur d’alerte de 38 ans, qui vit à l’étranger et préfère taire son identité et son lieu de résidence pour des raisons de sécurité, n’en est pas à son coup d’essai. Sous le pseudonyme N’Zui Manto – qui signifie la panthère en langue medumba parlée à l’ouest du Cameroun –, il s’est fait connaître en 2017 par ses posts dénonçant les conditions de vie des migrants africains au Maghreb. Depuis, il relaie quotidiennement sur ses comptes, suivis par plus de 400 000 personnes, des informations sur la corruption au Cameroun, le conflit dans les régions anglophones, les féminicides, l’insécurité… Mais jamais encore ses révélations n’avaient eu une telle résonance dans son pays d’origine.

Ses sources, qu’il surnomme « les services secrets de la résistance », appartiennent à toutes les couches de la société, assure-t-il. Des fonctionnaires, des militaires, mais aussi de simples citoyens qui alertent sur la corruption dans les hôpitaux, le mauvais état des routes ou bien encore les coupures d’électricité, en écrivant directement à l’activiste via un numéro de téléphone ou une adresse mail en accès libre sur sa page Facebook. En 2022 et 2023, ses posts sur des mères retenues dans des maternités avec leurs nouveau-nés en raison de factures impayées ont permis la libération de dizaines de femmes séquestrées. Mais ce qui est devenu « l’affaire Bopda » est aujourd’hui son fait d’armes le plus connu.

Depuis le 19 janvier, N’Zui Manto a reçu entre 700 et 800 témoignages émanant d’hommes et de femmes accusant le riche héritier de viols ou d’agressions. Seule une infime partie a été publiée, certains ne voulant pas voir leur récit rendu public de peur d’être reconnus, selon N’Zui Manto, également auteur de trois livres publiés au Cameroun par les éditions Muntu. « Je suis un très grand fan de documentaires criminels. Je croyais avoir déjà fait le tour de la bêtise humaine mais, dans cette affaire, les récits qui me sont parvenus sont inimaginables », confie le lanceur d’alerte, affirmant se fier aux sources avec qui il a noué des relations de confiance et à son « sixième sens ».

Des menaces de mort récurrentes

Au total, 81 témoignages mettant en cause Hervé Bopda, ainsi que des gendarmes, artistes, influenceurs qui lui sont proches ont ainsi été diffusés sur ses réseaux sociaux. « J’ai assez vite compris qu’il s’agissait de quelqu’un de puissant, qui a été protégé par le système en place. (…) Par le passé, certaines victimes ont déposé des plaintes. Sans succès. Plusieurs d’entre elles ont été menacées d’être tuées si jamais elles témoignaient », relate-t-il.

Le lanceur d’alerte a d’ailleurs fait l’objet de plusieurs plaintes en diffamation d’Hervé Bopda et même d’une sommation par huissier lui enjoignant de « produire les 1 000 victimes et leurs contacts » dans un délai de 48 heures. Des intimidations qui ne l’inquiètent plus après, dit-il, avoir reçu des menaces de mort récurrentes depuis qu’il couvre le conflit qui sévit au Cameroun anglophone.

N’Zui Manto raconte peu de choses sur son parcours. Tout juste relate-t-il avoir quitté le Cameroun en 2015, comme des milliers d’autres en quête d’un avenir meilleur. Sur la route, le jeune homme, issu d’un milieu modeste, raconte avoir été témoin des souffrances endurées par les migrants, des morts dans le désert du Sahara ou encore en Méditerranée. Au Maghreb, il a vu des jeunes femmes, enceintes ou bébés dans les bras, dormir devant les ambassades, sans susciter la moindre réaction des diplomates.

« Son travail de dénonciation a souvent permis l’amélioration des conditions de vie des Camerounais, salue Arol Ketchiemen, auteur et éditeur des livres de N’Zui Manto. Lorsqu’il dénonce le mauvais état d’une route, on s’empresse de la réaménager. Lorsqu’il dénonce un conducteur de bus imprudent et inattentif, on apprend par la suite que ce dernier a été sanctionné. Camwater [la société publique de distribution des eaux au Cameroun] a amélioré la qualité de ses services grâce aux dénonciations de N’Zui Manto. Récemment, il a permis le démantèlement d’un réseau d’agresseurs et violeurs en série qui opéraient dans des taxis dans la ville de Yaoundé. Bien avant l’affaire Bopda, il avait aussi dénoncé un autre violeur en série : le dénommé Capello qui sévissait impunément dans le football camerounais depuis 1995 ».

Neuf plaintes déposées contre le riche héritier

Reste que sa notoriété dérange. Sa page Facebook est régulièrement signalée ou piratée. Celui qui préfère se présenter comme un « révolutionnaire » plutôt que comme un « lanceur d’alerte » en est à son quatorzième compte. Pour lui, Paul Biya, président depuis quarante et un ans, est « à l’origine du sous-développement et de la souffrance de mes frères camerounais ». « Je pense que la plus grande crainte du régime en place est que je sois l’une des personnes les plus influentes du pays… Je ne monnaie pas mes dénonciations », tient à préciser celui qui dit vivre de la vente de ses livres et de quelques publicités sur sa page.

Depuis l’arrestation d’Hervé Bopda, N’Zui Manto estime devoir laisser les enquêteurs et la justice faire leur travail, même s’il continue de recevoir des témoignages. Le riche héritier est en garde à vue à la police judiciaire de Douala où les auditions se poursuivent. « Mon client ne reconnaît pas ce qu’on lui reproche. C’est un coup monté, un traquenard », explique l’un de ses avocats sous couvert de l’anonymat. A l’en croire, neuf plaintes ont été déposées contre l’homme d’affaires dont cinq de droit commun (notamment escroquerie) et quatre concernant des affaires de mœurs (viols, agressions sexuelles…). D’après l’avocat, des expertises sont faites sur l’arme dont se serait servi Hervé Bopda pour menacer ses victimes et des tests de sérologie ont été réalisés après que des femmes et des hommes l’ont accusé de leur avoir transmis le VIH.

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La crainte que suscite le personnage mis en cause ainsi que la stigmatisation liée au viol dans la société camerounaise font que « tous nos clients veulent garder l’anonymat », révèle Guy Olivier Moteng, l’un des avocats des victimes présumées.

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