Pourquoi le ton monte entre l’Algérie et le Mali

- Advertisement -

Pourquoi le ton monte entre l’Algérie et le Mali

Les relations entre l’Algérie et le Mali se sont dramatiquement dégradées, au moment où ce dernier cherchait des appuis, après le retrait de l’armée française du pays. Ainsi, le 25 janvier et contre toute attente, le gouvernement de la transition malien annonçait sa décision de mettre «fin, avec effet immédiat» à l’accord de paix d’Alger, signé en 2015 entre le gouvernement de Bamako et les groupes rebelles de la Coordination des mouvements de l’Azawad, qui régnaient sur ce territoire du nord du Mali.

Une annonce qui, a priori, présageait la reprise des hostilités entre les deux parties. Pourquoi les Maliens ne font-ils plus confiance aux Algériens qui se voyaient pourtant comme leurs parrains? Comment ces deux pays voisins en sont-ils arrivés là?

Depuis le putsch qui a renversé, en mai 2021, l’ancien président malien Bah N’Daw et son gouvernement, rien ne semblait officiellement troubler les relations entre Alger et Bamako. Le gouvernement algérien donnait même l’impression d’être satisfait du changement qui s’opérait chez son voisin du sud et surtout du départ forcé des troupes françaises au Sahel –successivement des territoires burkinabé, malien et enfin nigérien en décembre 2023.

La presse algérienne se gardait bien alors –ce qui n’est plus le cas depuis quelques semaines– de désigner les putschistes maliens comme tels. Alger avait même pris, en août 2023, le risque de s’attirer les foudres de Paris, pour avoir interdit le survol de ses airs par l’armée française, au moment où celle-ci menaçait d’intervenir au Niger pour y restaurer l’ordre constitutionnel.

Une crise qui couvait

Les premières tensions ont en fait commencé à apparaître à la fin de l’année 2023, lorsque la junte malienne au pouvoir, grisée par le retrait des troupes françaises du Sahel, avait exprimé, pour la première fois, son désaccord avec le processus d’Alger, suivi rapidement d’un rappel des ambassadeurs des deux pays.

Il faut dire qu’entre-temps, dans le courant de l’année 2021, le nouveau pouvoir à Bamako s’était offert les services du groupe paramilitaire Wagner, puis il s’était redéployé dans le nord du Mali en vue d’y étendre son autorité. Bamako accuse les indépendantistes touaregs –soutenus plus ou moins ouvertement par Alger– de verser dans le terrorisme ou de composer avec les groupes djihadistes qui infestent cette région depuis la chute du régime libyen en 2011.

La polémique s’était arrêtée là. Les relations diplomatiques commençaient même à se normaliser à la faveur de la visite à Bamako, le 27 avril 2023, du ministre des Affaires étrangères algérien Ahmed Attaf, reçu par le chef de la junte et actuel président de la transition du Mali, Assimi Goïta, pour relancer l’accord de paix.

Tout va basculer à partir du 19 décembre 2023, à la suite de la visite en Algérie d’un dignitaire religieux malien particulièrement honni par les tenants du pouvoir à Bamako, l’imam Mahmoud Dicko, reçu en grande pompe par le président Abdelmadjid Tebboune, en présence, entre autres, du général M’henna Djebbar, patron du renseignement extérieur algérien. Cet imam, à la tête d’un puissant mouvement de contestation, s’est ouvertement opposé à la prise de pouvoir par les militaires. Les dirigeants maliens y ont vu un acte d’hostilité, comme le suggère le premier communiqué du 25 janvier 2024 du gouvernement de la transition.

Le silence incompris d’Alger

Les dirigeants maliens reprochent en fait à l’Algérie sa «partialité» dans le conflit qui oppose le pouvoir central à Bamako au mouvement nordiste. «L’Algérie a sapé sa crédibilité et son autorité de médiateur impartial», a déclaré Choguel Kokalla Maïga, le Premier ministre malien, le 31 janvier.

Dans un autre communiqué, publié le 26 janvier, le gouvernement de la transition malien et les rédacteurs du document se montraient taquins en se disant «curieux de savoir le sentiment des autorités algériennes, si le Mali devait accueillir au plus haut sommet de l’État, des représentants du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie». Voilà une autre raison qui aurait pu soulever l’ire de l’Algérie, où le mouvement séparatiste kabyle est classé comme «organisation terroriste» (au même titre que le mouvement islamiste radical Rachad) et ses membres traqués sans relâche par les services de sécurité.

Face à une attaque aussi frontale, les observateurs s’attendaient à une levée de boucliers à Alger. Mais, hormis une déclaration un peu corsée du ministère des Affaires étrangères, mettant en exergue la gravité de la décision «pour le Mali lui-même et pour toute la région», le gouvernement algérien a préféré transcender la question, à un moment où il lui est reproché de s’aliéner trop d’ennemis dans le voisinage.

Depuis, la diplomatie algérienne semble s’être tournée vers un autre partenaire de la région: la Mauritanie. Ballet incessant de personnalités de tout ordre entre Alger et Nouakchott, signature de nouveaux accords: jamais les relations entre les deux pays n’ont été aussi intenses.

L’ombre du successeur du Groupe Wagner

Dans les instances de débat et dans la presse algérienne –totalement acquise au pouvoir et à ses rhétoriques–, une hypothèse devient la piste la plus privilégiée. Celle selon laquelle le Makhzen (nom par lequel est désigné le régime marocain), prétendument aidé en sous-main par Israël, ne serait pas étranger à cette désunion avec le grand frère qu’était l’Algérie. Ce genre de lecture a même fait la une d’un grand quotidien algérien (El Khabar).

L’Union européenne, et même les États-Unis (Paris s’est auto-exclu), ont regretté la décision malienne de mettre fin à l’accord de paix d’Alger. Tous craignent les conséquences de cette décision: faut-il s’attendre à la reprise de la guerre civile?

 «Si la pression continue, il est possible d’imaginer une confrontation directe.»

Akram Kharief, journaliste

Akram Kharief, journaliste algérien spécialiste des questions de sécurité et de défense au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, que nous avons interrogé, relativise la gravité de la brouille actuelle entre l’Algérie et le Mali, en estimant que les deux pays «ont vocation à avoir un bon voisinage». Cela dit, les risques d’une déflagration interne ne sont pas à écarter, selon cet observateur. «Pour l’instant, le CSP [le Cadre stratégique permanent, coalition des factions armés du nord du Mali, ndlr] est sur la défensive et évite le contact avec les forces armées maliennes. Mais si la pression continue, il est possible d’imaginer une confrontation directe.»

Telle est la question qui revient comme un leitmotiv. Mais à Bamako, on ne pense plus visiblement qu’à plaire aux nouveaux alliés russes. Une façon comme une autre de démontrer la légitimité antifrançaise qui avait porté les militaires au pouvoir. Après la mort d’Evgueni Prigojine, le 23 août 2023, alors que son avenir continental était trouble, le Groupe Wagner a été dissous et restructuré en Afrique sous la tutelle du ministère de la Défense russe, avec un nouveau label: Africa Corps.

Sous un nouveau nom mais toujours en place, la présence russe au Sahel a désormais la voie libre dans tous les pays évacués précipitamment par l’armée française: Mali, Niger, Burkina Faso. Le retrait collectif de ces pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), annoncé le 28 janvier, indique une nouvelle étape de cet affranchissement vis-à-vis de l’ancien colonisateur ou de ses supposés alliés, mais va renforcer cette aliénation de plus en plus assumée envers Moscou.

En Afrique, le vide qu’a laissé le départ des troupes françaises attire d’autres sociétés de mercenaires étrangers, telles que le Sadat turc qui, en véritable armée, accompagne l’extension économique de la Turquie dans le continent noir. Reste à savoir si les nouveaux maîtres du Mali, si jaloux de la souveraineté de leur pays, sont en mesure de juguler l’expansionnisme des Russes et autres Turcs qui ne cachent plus leurs ambitions de conquérir l’Afrique.

Cet article est apparu en premier sur https://www.slate.fr/story/265960/raisons-crise-diplomatie-algerie-mali-afrique-nord-accord-paix-alger-bamako-france-russie-relations-internationales


.

- Advertisement -