Lutte contre Boko Haram : Pourquoi le Tchad veut-il se retirer de la Force Mixte Multinationale et quelles seraient les conséquences régionales ?
Lutte contre Boko Haram : Pourquoi le Tchad veut-il se retirer de la Force Mixte Multinationale et quelles seraient les conséquences régionales ?
- Author, Armand Mouko Boudombo, Isidore Kouwonou
- Role, Journalists- BBC News
- Twitter,
- Reporting from Dakar
Les insurgés et autres groupes armés ont souvent utilisé la région du lac Tchad comme base pour attaquer les pays qui entourent le bassin – le Nigeria, le Niger, le Tchad et le Cameroun – mais la menace du président tchadien de se retirer d’une force de sécurité vieille de dix ans pourrait avoir des conséquences importantes si elle était mise à exécution.
Après presque dix ans d’opération militaire conjointe du Cameroun, du Tchad, du Niger et du Nigeria, la lutte contre les insurrections et les attaques terroristes en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale pourrait subir un revers. Et ce, si le président tchadien Mahamat Idris Deby met à exécution sa menace de se retirer de la force de sécurité régionale.
La mort de plus de 40 soldats tchadiens lors d’une récente attaque attribuée à Boko Haram a mis en colère le président Deby, qui s’est rendu à la base de Barkaram, une île située dans la région du lac Tchad. Il y a annoncé une opération militaire pour traquer les assaillants.
Le bassin du lac Tchad est bordé par le Cameroun, le Tchad, le Niger et le Nigéria, qui font tous partie d’une force multinationale mixte depuis 2015, cherchant à éradiquer les groupes armés opérant dans la région.
Peu après la visite de M. Deby sur la ligne de front, la présidence tchadienne a publié un communiqué de presse dans lequel elle déclarait que la force multinationale mixte manquait d’efforts coordonnés entre les troupes des États membres dans la lutte commune contre Boko Haram. Le pays envisage donc de se retirer de l’alliance de sécurité, vieille de dix ans, qui devait sécuriser une région devenue l’épicentre des groupes violents qui tourmentent les quatre pays.
« La tentative du Tchad de se retirer de cette force en dit long sur les limites de celle-ci, qui a été décrite comme léthargique », a déclaré à la BBC le professeur Oumar Ba, du Centre d’études diplomatiques et stratégiques de Paris (France).
Quels sont les enjeux ?
La force opérationnelle, dont le siège se trouve au Tchad, comptait environ 10 000 soldats en 2022, provenant des pays membres, selon un rapport de la MNJTF. En 2018, lorsque la force opérationnelle comptait 8 000 soldats, le Tchad y a contribué à hauteur de 3 000 soldats, soit la deuxième contribution la plus importante après celle du Nigéria, qui comptait 3 250 soldats. Le Cameroun disposait de 2 250 soldats, le Niger et le Bénin de 200 et 150 soldats respectivement, selon une publication de l’école internationale des forces de sécurité au Cameroun.
Si le Tchad se retire, l’alliance de sécurité pourrait perdre sa deuxième force la plus importante, à un moment où les menaces à la sécurité restent un défi dans la région.
Ceidik Abba, chercheur en sécurité, a déclaré à la BBC que « tout retrait serait un sérieux revers pour la force », compte tenu de l’engagement du Tchad dans la lutte contre les insurgés.
M. Abba, auteur d’un livre intitulé « Pour comprendre Boko Haram », a déclaré qu’aujourd’hui, Boko Haram n’est pas un ennemi national (pour un pays donné), mais un ennemi sous-régional. Et si la lutte contre Boko Haram doit être efficace, elle doit se faire par le biais d’une approche sous-régionale. Sans cela, les insurgés des différents groupes se déplaceraient dans des refuges situés dans différents pays, d’où ils lanceraient des attaques.
« J’espère que tout sera fait pour éviter cela, car le Tchad apporte beaucoup d’expérience et d’investissements, et son retrait signifierait également un pas en arrière », a-t-il déclaré.
Jusqu’à présent, la force militaire conjointe a limité les incursions du groupe djihadiste dans la région. Certains de ces exploits ont été attribués en partie aux troupes tchadiennes qui ont endigué l’avancée de Boko Haram et l’ont forcé à se diviser en factions.
Dans un rapport publié en 2020, l’International Crisis Group a déclaré que les forces tchadiennes « ont contribué à endiguer l’expansion de Boko Haram en 2015 et 2016 et à faire pression sur le groupe ».
Des offensives ultérieures en 2017 et 2018 et une opération plus soutenue en 2019 ont également permis de repousser les insurgés, de libérer les civils capturés ou piégés dans les zones contrôlées par Boko Haram et de faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire.
Selon le think tank, Boko Haram est resté actif parce que tous les pays n’ont pas fait preuve de la même vigueur dans les contre-offensives. C’est en partie pour cette raison que les combattants de Boko Haram ont pu fuir vers d’autres régions et rester actifs.
Mais un retrait du Tchad de la force militaire régionale signifierait également que le pays devrait lutter seul contre les insurgés et les groupes comme Boko Haram sur son territoire.
Les raisons des difficultés rencontrées par la force mixte
En 2019, feu le président Deby – père du président tchadien en exercice – avait exprimé sa frustration face à la réticence de certains pays à engager suffisamment de troupes dans la force opérationnelle conjointe. Il aurait déclaré que les forces armées tchadiennes accomplissaient l’essentiel du travail dans la région du lac Tchad, tandis que les autres pays se concentraient sur les opérations internes.
Mais la région du lac Tchad est restée un point névralgique pour les groupes violents qui s’y installent et lancent des attaques dans les pays de la région.
Son fils, actuel président du Tchad, a hérité de ces plaintes et estime que les pays voisins qui devraient être des partenaires dans la guerre n’en font pas assez.
« Certains pays refusent d’engager leurs unités d’élite dans des combats régionaux, préférant les garder pour des missions internes », a déclaré M. Abba, chercheur en sécurité.
Il a également indiqué que la force militaire conjointe ne disposait pas de moyens de mobilité suffisants. Il n’y a que quelques hélicoptères pour transporter les soldats blessés et déplacer les équipes, et certains pays affirment généralement qu’ils n’ont pas d’appareils en réserve.
Le financement et les fournitures militaires ont également été identifiés comme un problème pour la force opérationnelle, car certains pays seraient souvent en retard dans le versement de leurs contributions. Des problèmes organisationnels et structurels ont également été signalés, qui fragilisent la chaîne de commandement et affectent les opérations.
« Comment pouvons-nous nous assurer que tous les pays ont le même niveau d’engagement envers la task force conjointe, et que tous les pays fournissent les mêmes ressources ? demande Abba.
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