Ces Franco-Algériens qui rêvent d’une nouvelle vie en Algérie
Ces Franco-Algériens qui rêvent d’une nouvelle vie en Algérie
Souad se prépare à aller vivre à Alger dans un an. La Franco-Algérienne de 45 ans, assistante juridique à Lyon, a choisi le pays de ses parents pour commencer une nouvelle vie avec son fils de 12 ans.
« La mauvaise ambiance en France me pousse un peu vers la sortie. Comme tous les enfants d’immigrés, j’ai toujours connu le racisme et la discrimination, mais ce n’était pas de la même ampleur qu’aujourd’hui. Cela devient de l’acharnement », confie-t-elle à Middle East Eye, ajoutant ne plus vouloir vivre « dans une société qui la rejette ».
« Je suis arrivée à un stade où je ne trouve plus cela normal. Je sature. »
Sur les réseaux sociaux, d’autres Algériens, nés ou ayant grandi en France, plutôt jeunes mais parfois âgés, des femmes et des hommes, mariés, avec enfants ou célibataires, affichent la même envie de traverser la Méditerranée pour un aller sans retour.
« Je ne me sens plus à ma place en France. Malgré mes études et ma longue carrière dans l’enseignement, je suis constamment ramené à mes origines »
– Boussad, professeur de mathématiques à Paris
Ils se livrent dans des groupes Facebook comme « Réussir sa hijra vers l’Algérie » ou « Retourner vivre en Algérie », en déplorant, comme Souad, la montée de la xénophobie.
Malgré une « sous-déclaration chronique » des actes islamophobes en France, pour reprendre les termes de Sihem Zine, responsable de l’association Action droits des musulmans (ADM), depuis le début d’un nouveau cycle dans le conflit israélo-palestinien, le 7 octobre, les forces de l’ordre ont constaté « une montée » des actes antimusulmans dans le pays, a déclaré Gérald Darmanin au journal Ouest France. À la mi-novembre 2023, le ministère de l’Intérieur recensait « plus de 140 actes depuis le début de l’année ».
« Je ne me sens plus à ma place en France. Malgré mes études et ma longue carrière dans l’enseignement, je suis constamment ramené à mes origines », déplore Boussad, professeur de mathématiques dans un lycée parisien. « Le racisme est devenu décomplexé. Il se déverse à longueur de journée sur les écrans de télévision. »
Retraite en Kabylie
Dans deux ans, le père de famille de 63 ans prendra enfin sa retraite et prévoit de s’établir avec son épouse à Maâtkas, en Kabylie, dans la propriété de ses parents.
« Cette maison était le seul endroit où mon père se sentait vraiment chez lui, au milieu des siens. Quand j’étais jeune, je ne comprenais pas son obstination à vouloir la construire alors que nous vivions dans un HLM en France. Mais j’ai pu mesurer avec l’âge le poids de l’exclusion qu’il subissait, lui, le petit peintre en bâtiment que tout le monde appelait par son prénom, Mohamed, et son désir ardent de retourner dans son pays », raconte l’enseignant.
Pour les premières générations d’immigrés, la perspective du retour dans le pays natal était un élément essentiel du projet migratoire. Comme le soulignait le sociologue algérien Abelmalek Sayad dans son livre La Double absence, les travailleurs immigrés algériens vivaient leur présence dans l’Hexagone comme un « exil nécessaire » tout en espérant un jour rentrer chez eux.
« Lorsque nous étions petits et que mon père nous emmenait en Algérie pour les vacances à El Kseur, du côté de Béjaïa, il n’arrêtait pas de vanter la beauté du pays et nourrissait secrètement le rêve d’acquérir un pied-à-terre où nous pourrions tous vivre pour toujours. Mais son projet ne s’est jamais réalisé. Avec son emploi de manutentionnaire, il gagnait à peine de quoi subvenir à nos besoins », relate à MEE Bachir, un chauffeur de poids lourds de 33 ans, natif de Roubaix (Nord).
Aujourd’hui, comme pour prendre une revanche, le Franco-Algérien a décidé de sauter lui-même le pas avec sa propre famille. « Je prends exactement le même chemin que mon père il y a 40 ans, mais dans le sens inverse ! », plaisante-t-il.
Sur un ton plus sérieux, le Roubaisien pointe un climat de haine contre les étrangers et les musulmans, qui rend la France « invivable ».
« Mon souhait est qu’on puisse, en tant que famille, exercer notre foi librement, sans être taxés de séparatistes et de salafistes »
– Bachir, chauffeur de poids lourds à Roubaix
« Je veux que mes deux filles évoluent dans une société qui ne les repousse pas à la marge à cause de leur nom, de leur couleur de peau et de leur religion. Mon souhait est qu’on puisse, en tant que famille, exercer notre foi librement, sans être taxés de séparatistes et de salafistes », confie-t-il.
Pour préparer leur départ pour l’Algérie, le jeune père de famille se renseigne auprès de ses connaissances des deux côtés de la Méditerranée. Il aspire par exemple à ouvrir une société de transport mais il ne connaît pas encore la nature des démarches pour créer une entreprise.
Bachir ne sait pas non plus s’il ira vivre à El Kseur, la ville natale de ses parents dans le nord-est algérien, ou s’il doit choisir une plus grande agglomération offrant de meilleures opportunités d’emploi.
« La bonne décision »
Pour Souad, les perspectives sont un peu plus claires. En octobre 2023, elle a effectué avec l’un de ses frères – qui projette aussi d’aller vivre en Algérie – un voyage de prospection à Alger.
Le problème du logement est déjà réglé car elle occupera dans un premier temps, avec son fils, la maison que ses parents ont construite dans la capitale algérienne, à Bouzaréah. Plus tard, la Lyonnaise a pour ambition d’acquérir un bien immobilier à Oran (ouest). « Si tout va bien, nous vivrons à long terme dans cette ville dont j’ai entendu le plus grand bien », commente-t-elle.
Sur le plan professionnel, Souad continuera dans un premier temps à exercer son métier en télétravail, puis compte chercher un emploi ou effectuer une reconversion.
« J’avais eu dans l’idée de créer un call center. Mais cela n’a pas marché. Trop de tracasseries administratives », révèle-t-elle sans s’avouer découragée.
« Je sais comment fonctionne l’Algérie, que la bureaucratie représente un véritable frein à l’initiative. Lors de mon dernier voyage, un agent de banque a refusé de m’ouvrir un compte car il estimait que mon passeport n’était pas une pièce d’identité valable alors que l’un de ses collègues l’a fait sans problème le lendemain avec son propre passeport. »
L’assistante juridique s’inquiète par ailleurs pour la scolarisation de son fils. L’État algérien ayant interdit aux écoles privées d’enseigner le programme français, elle se demande comment celui-ci pourra s’intégrer dans une école algérienne où les cours sont dispensés en arabe.
« Ni lui ni moi ne parlons arabe couramment. À notre arrivée, c’est sûr, il y aura beaucoup de difficultés. Les codes ne sont pas les mêmes. Mais au final, nous gagnerons la sérénité et l’apaisement que nous n’avons plus en France », pense-t-elle.
« À notre arrivée, c’est sûr, il y aura beaucoup de difficultés. Les codes ne sont pas les mêmes. Mais au final, nous gagnerons la sérénité et l’apaisement que nous n’avons plus en France »
– Souad, assistante juridique à Lyon
Lamia est professeure d’anglais. Elle a quitté sa ville natale de Douai (Hauts-de-France) en se mariant il y a douze ans avec un Algérien de Mostaganem (ouest), où elle vit aujourd’hui. Et elle ne regrette pas son choix.
« Je me rends compte, à chaque fois que je reviens en France, que j’ai pris la bonne décision. Au lieu d’intégrer les immigrés et leurs enfants dans la communauté nationale, l’État les ostracise avec des lois et des pratiques politiques honteuses. Je n’aurais jamais trouvé ma place en France si j’étais restée, surtout avec mon voile », dit-elle à MEE lors d’une conversation téléphonique.
Officiellement, il n’existe pas de statistiques sur le nombre de Franco-Algériens qui ont opté pour l’Algérie comme pays de résidence. Ces arrivées peuvent aussi paraître anecdotiques et marginales comparées à l’ampleur du phénomène de migration des Algériens vers l’Europe.
Le président Tebboune insiste régulièrement sur son souhait d’associer la diaspora, « partie intégrante du tissu sociétal national », au développement du pays. Des mesures ont été prises également afin de faire profiter les Algériens de l’étranger de certains dispositifs d’accès au logement de type promotionnel et à l’emploi dans le cadre du micro-entreprenariat (avec des prêts largement financés par l’État).
Pour autant, les binationaux ne sont pas tout à fait sur le même pied d’égalité en matière de droits que leurs concitoyens en Algérie. Depuis octobre dernier, une loi les empêche notamment de posséder un média. Ils ne peuvent pas non plus occuper de hautes fonctions politiques.
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