Discorde entre Alger et Niamey autour de l’expulsion des migrants clandestins
Discorde entre Alger et Niamey autour de l’expulsion des migrants clandestins
On croyait la crise relativement dépassée, lorsque fin décembre, les ministres des Affaires étrangères algérien et nigérien, Ahmed Attaf et Bakary Yaou Sangaré, se sont rencontrés à Alger. Le chef de la diplomatie du Niger a déclaré alors que « l’Algérie a toujours été du côté du Niger dans toutes les crises que le pays a eu à affronter par le passé ». Ambiance cordiale qui tranchait avec les tensions nées deux mois auparavant, quand Niamey rejeta l’initiative de médiation d’Alger dans la crise provoquée par le putsch de la junte, à la suite d’un quiproquo entre les deux capitales.
Niamey proteste
Mais une hirondelle, même sous les aspects d’une rencontre fort cordiale entre les deux ministres des Affaires étrangères et de déclarations amicales, ne fait pas le printemps.
Le 3 avril, l’ambassadeur d’Algérie à Niamey, Bekhedda Mehdi, est convoqué – une première – au ministère nigérien des Affaires étrangères. Ce dernier a « protesté », selon un compte rendu sur les réseaux sociaux, contre « le caractère violent » des opérations de refoulement de milliers de migrants ouest-africains par l’Algérie vers le Niger. Niamey estime que son voisin du Nord a « intensifié depuis quelques jours » ses opérations de rapatriement et de refoulement de migrants subsahariens en situation irrégulière. « De vastes opérations de rafles policières sont régulièrement menées dans certains quartiers de la ville de Tamanrasset (extrême sud algérien) où vivent des ressortissants des pays subsahariens, dont de nombreux Nigériens », appuient encore les autorités de Niamey, citant des témoignages sur des « saccages » par la police algérienne ciblant des domiciles de migrants, notamment des Nigériens.
À LIRE AUSSI Niger : « Depuis le putsch, le sort des migrants est encore plus incertain » Parlant de la « gravité » de la situation, les Affaires étrangères ont donc « formellement exprimé les protestations des plus hautes autorités nigériennes contre le caractère violent du mode opératoire utilisé par les services de sécurité algériens pour mener ces opérations ».
Trois jours plus tard, Alger, piqué au vif, fait convoquer à son tour aux Affaires étrangères l’ambassadeur nigérien, Aminou Malam Manzo : « Cette rencontre a porté essentiellement sur la coopération entre les deux pays en matière de rapatriement des ressortissants nigériens séjournant de manière irrégulière sur le territoire algérien », lit-on dans le communiqué du ministère des Affaires étrangères algérien, qui précise que « cette coopération a fait l’objet de la part des autorités nigériennes de certains jugements que la partie algérienne estime sans fondements ». Il a été « rappelé à l’ambassadeur de la République du Niger l’existence d’un cadre bilatéral dédié à cette problématique ».
1 939 migrants refoulés en début d’année
Alger est fréquemment critiqué par des ONG internationales sur ces opérations de rapatriement. Mais c’est la première fois qu’un État voisin, hors Maroc, exprime ce genre de réprimandes officiellement et publiquement. Sur le terrain, Médecins sans frontières avait, fin mars 2023, alerté sur ces « milliers de migrants expulsés d’Algérie […] livrés à eux-mêmes dans le désert du nord du Niger, […] privés d’abris, de soins de santé, de protection et de produits de première nécessité ». « Pour le seul mois de mars 2024, près de 900 Noirs ont été expulsés par l’Algérie dans le Sahara à la frontière nigérienne, une zone appelée “Point zéro”. Entre le 1er et le 17 janvier, ce sont 1 939 migrants qui ont été refoulés », note le site spécialisé Info Migrants. La même source fait parler Azizou Chehou, le coordinateur du collectif Alarme Phone Sahara, qui vient en aide aux migrants dans le désert : « Il me paraît évident que la situation nécessite une réunion au plus haut niveau. Il faut cesser ces expulsions dans le désert. Il faut que l’Algérie mette en place des retours vers les pays d’origine et qu’elle cesse de passer par le désert et le Niger. » « De plus, il n’y a pas que des migrants nigériens qui arrivent [à Assamaka, la première ville après la frontière], mais beaucoup de migrants de diverses nationalités. Ici, ils souffrent, ils restent dans les rues. Ils errent pendant des mois, voire des années, ils sont renvoyés chez eux mais au compte-gouttes. »
À LIRE AUSSI Algérie – Migrations : Alger, « gendarme » de l’EuropeCes tensions interviennent alors que le nouveau pouvoir à Niamey a fait abroger, fin novembre, la loi de 2015 pénalisant le trafic illicite de migrants. Décision à visée « souverainiste » qui devait permettre aux zones frontalières de vivre de l’économie des migrations. Lundi 8 avril, le quotidien algérien El Watan est revenu sur cet aspect, considérant que « les autorités de transition nigériennes ne semblent plus réellement disposées à lutter contre l’immigration clandestine, et ce, depuis qu’elles ont abrogé la loi criminalisant les réseaux de passeurs ». « Le risque est encore plus grand pour le Niger et ses voisins, lorsque l’on sait que ces réseaux [de trafic d’humains] sont parfois connectés aux groupes terroristes, quand ce ne sont pas ces derniers qui contrôlent ce “business” juteux pour financer leurs activités criminelles », ajoute le journal.
Cette petite musique du « risque migratoire » revient de plus en plus ces derniers jours dans les médias publics et privés algériens.
« Modifier la composition démographique » !
La radio publique invite, par exemple, des experts pour parler justement des connexions entre passeurs, grand banditisme et terrorisme. Le quotidien conservateur Echourrouk reprend dans ses colonnes, ce 9 avril, les déclarations à la radio de Hassan Kacimi, chargé du dossier de l’immigration clandestine au ministère de l’Intérieur, qui prévient contre « la montée en puissance de l’activité des réseaux criminels spécialisés dans le trafic illicite de migrants africains à travers les frontières algériennes en provenance du Mali, du Niger et de la Libye ». Tout en soulignant les « graves répercussions de l’activité de ces réseaux sur la sécurité nationale et géostratégique de l’Algérie, car l’activité de ces réseaux est en harmonie avec les plans internationaux et sionistes qui cherchent à installer ces Africains en Algérie dans le cadre d’un plan visant à modifier la composition démographique des régions frontalières situées dans le Grand Sud, ce qui permettrait de saper plus facilement l’unité et la stabilité du pays à l’avenir ».
À LIRE AUSSI Algérie – Campagne anti-migrants : ce racisme qui ne dit pas son nomL’argument du « risque démographique » rappelle le discours du président tunisien Kaïs Saïed, qui, en février 2022, avait déclaré que l’immigration clandestine relevait d’une « entreprise criminelle ourdie à l’orée de ce siècle pour changer la composition démographique de la Tunisie », afin de la transformer en un pays « africain seulement » et estomper son caractère « arabo-musulman ». Des ONG internationales et tunisiennes avaient dénoncé ce qu’elles ont qualifié de discours « haineux » et « raciste ». « Les pays du Maghreb eux-mêmes commencent à sonner l’alarme face au déferlement migratoire. Ici, c’est la Tunisie qui veut prendre des mesures urgentes pour protéger son peuple. Qu’attendons-nous pour lutter contre le Grand Remplacement ? » avait alors commenté, sur X, le polémiste Éric Zemmour.
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