Percée des céréales russes en Algérie : la riposte française

Percée des céréales russes en Algérie : la riposte française

L’achat des céréales d’origine russe par l’Algérie à la place des céréales françaises est étroitement suivi par les professionnels français. C’est le cas de Philippe Heusèle, un des responsables d’Intercéréales France.

Une journée d’études a même été organisée le 20 mars dernier à Paris par l’interprofession française sur le thème « la filière céréalière française face à la menace russe ».

Ce responsable professionnel alertait : « Il ne faut pas se tromper d’adversaire dans nos batailles sur le commerce international : on parle beaucoup de l’Ukraine en ce moment, mais c’est vraiment la Russie, le facteur numéro un distorsif des marchés ! ».

Percée des céréales russes en Algérie : la France veut rattraper son retard

Pour Intercéréales, l’Algérie est considérée comme un « client historique de la France progressivement sortie de notre giron ».

En 2023, la France a exporté pour 166 millions d’euros de blé vers l’Algérie contre 834 millions en 2022, soit une baisse de 80 %, selon les chiffres de la mission économique de l’ambassade de France à Alger. Une baisse directement liée à l’arrivée du blé russe sur le marché algérien, selon la même source.

Pour de nombreux analystes français, « la percée russe s’est consolidée en Algérie ». Laure Sauvage du média agricole Terre-Net analyse : « Alors qu’elle n’y exportait pas de blé avant 2021/22, la Russie représentait 40 % des achats algériens sur 2023/24 fin février, avec 1,6 Mt exportés ».

Du blé russe qui a pris « une bonne partie de la part de marché française, qui avoisinait les 85-90 % à certaines périodes, mais chute depuis quatre ans. La France a exporté 5,6 Mt de blé tendre vers l’Algérie en 2019/20, puis entre 1,8 et 1,9 Mt sur les trois campagnes suivantes », poursuit-elle. Sur la campagne 2023/24, après « une première partie de campagne compliquée » selon Intercéréales, les exportations françaises vers l’Algérie atteignent actuellement 1 Mt.

Roland Guiragossian, responsable du bureau du Caire d’Intercéréales, reste pessimiste quant aux possibilités de la France de retrouver ses positions sur le marché algérien des céréales du fait de la modification du cahier des charges de l’OAIC à propos du taux de tolérance sur les blés dits « punaisés ». Ce qui lui fait dire : « Dans les conditions actuelles, on ne se bat pas avec les mêmes armes, à moins d’être performants niveau prix ».

Les atouts de la filière céréales russe sont considérables. Elle a engrangé trois bonnes récoltes successives et dispose de grandes exploitations issues des anciens kolkhozes, l’équivalent de nos fermes pilotes, dont la grande taille permet des économies d’échelle.

Puis la filière russe peut compter sur une industrie des engrais prospère. Le gaz permet d’alimenter à bas coût les usines d’engrais azotés et le pays dispose de gisements de phosphate.

Blé : la riposte de la France face à la « menace russe » en Algérie

Intercéréales envisage trois niveaux de riposte et, avant tout, consolider la situation des céréaliers français.

Ils ont bénéficié de la hausse du prix des céréales suite à la crise ukrainienne, cependant la flambée a été de courte durée. Aujourd’hui, les prix sont revenus à 189 euros la tonne après avoir atteint jusqu’à 437 euros la tonne.

Les céréaliers français estiment aujourd’hui produire à perte, d’autant plus que l’Union européenne a largement ouvert ses frontières au blé ukrainien.

Pour Philippe Heusèle plus particulièrement chargé des relations internationales au niveau d’Intercéréales, à très court terme : « Les politiques doivent envoyer un signal fort aux agriculteurs et ramener les céréales dans les clauses de sauvegarde d’urgence ». Un premier pas a été fait dans ce sens avec la récente décision de l’UE de limiter les importations agricoles ukrainiennes.

Ensuite, à moyen terme, il suggère de « donner à la filière céréalière un accompagnement politique face à la puissance et l’agressivité russe sur les marchés ».

Une mesure, précise-t-il, qui devrait s’accompagner de la nécessité de « travailler à des outils pour reprendre des avantages compétitifs : garantie de payer qu’on pourrait rétablir sur des économies fragiles, assurances crédits adaptées, couvertures de risque pour nos acteurs… ».

L’exemple de ce risque est illustré par la Tunisie dont Yann Lebeau, responsable de bureau d’Intercéréales pour la zone Maghreb-Afrique, rappelle, l’effondrement financier depuis 2011.

Enfin, pour le long terme, le chargé des relations internationales de cet organisme insiste pour mettre en avant les atouts de la filière céréales française : proximité, fiabilité et possibilités de partenariats. Et de conclure : « Avec la domination russe, certains pays ont la volonté de diversifier leurs offres, à nous d’être présents avec ces moyens ! Les clients, ça se fidélise. »

Les opérateurs céréaliers français seraient-ils prêts à assurer un « service après-vente » sur leurs marchés maghrébins ?

« Les clients, ça se fidélise »

Lancer l’idée que les clients ça « se fidélise » revient à « faire du pied » à la filière céréales algérienne. Il y a encore peu, sur 5 quintaux de blé que la France exportait, deux voire trois, selon les années, étaient achetés par l’Algérie. Jusqu’à présent, les céréaliers français ne se préoccupaient que d’arriver à charger le maximum de trains de grains en direction du port de Rouen.

Quant aux possibilités de partenariats vantés par Philippe Heusèle, les céréaliers algériens n’ont jamais bénéficié d’échanges techniques avec leurs homologues français.

À ce titre, l’exemple de la filière oléicole est très parlant. Le programme Programme d’Appui au Secteur de l’Agriculture en Algérie (PASA) est majoritairement financé par les fonds de l’UE, la part française reste minime. Les derniers programmes entre les filières céréales française et algérienne remontent à 2014, voire au milieu des années 1970.

Dans le premier cas, il s’agissait d’investissement de la coopérative française Axéréal à hauteur de 49 % dans une société mixte avec l’Office algérien des céréales (OAIC) pour la production locale de semences de céréales et de légumes secs.

À l’époque, le ministre algérien de l’Agriculture avait déclaré que cette société devrait permettre « de transmettre le savoir-faire français dans ces domaines en Algérie ».

Dans l’autre cas, l’expertise de la partie française avait porté sur les hautes plaines céréalières algériennes, notamment à Tissemsilt et Tiaret et des moyens à réunir afin de mieux associer l’élevage ovin à la culture de céréales et de réduire les terres non travaillées pour cause de jachère.

La menace actuelle est celle du réchauffement climatique. Que ce soit pour augmenter les rendements ou les surfaces en céréales en Algérie, les défis de la filière céréales locale sont considérables et tout projet de partenariat gagnant-gagnant avec ses nombreux partenaires ne pourrait être que profitable.

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