Inde : Dow Chemical, impunie après avoir tué 25 000 personnes à Bhopal

Inde : Dow Chemical, impunie après avoir tué 25 000 personnes à Bhopal

« 500 dollars, c’est largement suffisant, pour un Indien ». Le mépris et le racisme ne pourraient être plus crasses chez cette porte-parole de Dow Chemical, interrogée en 2001 sur l’implication de la multinationale états-unienne dans le drame de Bhopal.

Le 2 décembre 1984, l’usine de pesticides de la capitale du Madhya Pradesh, dans le centre de l’Inde, explosait et relâchait du gaz toxique provoquant la mort d’environ 25 000 personnes et des complications de santé chez 500 000 autres, qui souffrent toujours aujourd’hui.

Cette affaire, l’une des plus grandes catastrophes industrielles de l’histoire, passe les frontières indiennes et indigne l’opinion publique : « Morts les enfants de Bhopal, d’industrie occidentale, partie dans les eaux du Gange, les avocats s’arrangent », chante un Renaud mélancolique sur Mistral gagnant, un an après la catastrophe.

« Ces poisons continuent de faire de nouvelles victimes »

Rachna Dhingra, militante

Cet « arrangement » est au cœur d’un nouveau rapport d’Amnesty international, qui milite pour des réparations à la hauteur de la douleur des victimes. En 1989, à la suite d’un accord avec le gouvernement indien, seuls 500 dollars (460 euros) avaient été versés à certaines victimes par l’Union Carbide corporation (UCC), propriétaire de l’usine de Bhopal. La société a ensuite été rachetée par Dow Chemical en 2001.

Depuis, « les responsables n’ont pas eu un seul jour de procès ou de prison, déplore Rachna Dhingra, militante de la Campagne internationale pour la justice à Bhopal (ICJB). Les eaux souterraines de plus de 200 000 personnes sont encore contaminées par des produits chimiques toxiques et des polluants organiques persistants, et les entreprises responsables ont refusé de payer pour le nettoyage ou les dommages de santé. »

L’Etat indien dans le déni

Outre les 10 000 personnes mortes dans les premiers jours de décembre 1984, le rapport s’attarde sur les « problèmes de santé terribles » que la fuite de 40 tonnes d’isocyanate de méthyle a provoquée chez les habitants, avec notamment des cancers, « des maladies chroniques des voies respiratoires et du système immunitaire », ou « un pourcentage disproportionné d’enfants dont les parents ont été exposés aux gaz nés avec des handicaps ou souffrant de troubles congénitaux ». « Ces poisons continuent de faire de nouvelles victimes, confirme Rachna Dhingra. L’UCC et Dow Chemical ont littéralement handicapé des milliers d’enfants ! » Et les études ne datent pas d’hier.

En 1987, l’une d’entre elles prouve que 43,8 % des grossesses se finissent par la mort du nourrisson, chez les femmes vivant à moins d’un kilomètre de l’usine de Bhopal. En 2001, des retards de croissance sont découverts chez de nombreux enfants. Enfin, on trouve en 2017 des « aberrations chromosomiques » chez les personnes exposées à la contamination environnementale.

L’ICJB demande donc régulièrement au gouvernement de Narendra Modi de couper tous les liens avec Dow, « qu’il ne les laisse pas investir en Inde tant qu’ils ne reconnaissent pas leur responsabilité civile, environnementale et pénale. »

Mais ces requêtes ont été ignorées par l’État indien, coupable selon Amnesty international de « racisme environnemental » : alors que l’UCC avait mis en place « des normes d’entretien et de surveillance inférieures à celles des installations équivalentes aux États-Unis », l’usine se trouvait « à proximité de localités densément peuplées et majoritairement musulmanes et de castes inférieures, pauvres pour la plupart et composées de logements informels ».

Une entreprise américaine qui échappe à la justice indienne

D’autres associations reprochent depuis plusieurs années aux autorités du Madhya Pradesh – qui possède l’usine depuis la désertion de l’UCC – de ne pas avoir fourni d’eau potable aux habitants. En novembre dernier, trois dirigeants étaient condamnés par la Haute Cour de l’État. Quant aux États-Unis, le rapport affirme qu’ils ont « fait pression sur le gouvernement indien pour qu’il permette aux Américains d’échapper à la justice pénale ».

Des avocats de Dow Chemical comparaissaient pourtant pour la première fois devant une cour indienne, en octobre dernier. « Étant une entreprise américaine, ils ont dit que la juridiction indienne n’avait aucun pouvoir sur eux » déplore Rachna Dhingra. Et ils se réfugient derrière leurs changements de noms pour rejeter leur responsabilité. »

Le 2 décembre prochain marquera les 40 ans de la mort de milliers d’Indiens innocents, victimes de la prédation capitaliste prospérant sur les cadavres des peuples du Sud. « C’est évidemment une journée de deuil, mais aussi de lutte, tous les ans, explique la militante. Mais nous espérons que pour les 40 ans, nous aurons le soutien de tous ceux qui se soucient de la justice environnementale et des droits humains. Aucun autre enfant ne devrait être exposé à leurs poisons. »

Quatre décennies plus tard, les coupables américains ne reconnaissent toujours pas leurs torts. Et Rachna de rappeler que « des crimes tels que celui de Bhopal continuent de se produire tous les jours autour de nous », alors que les « imbéciles et grabataires se partagent l’univers », tonne encore le refrain de Renaud.



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