« Immigrée en France, ma mère m’a transmis son amour de l’Algérie par la nourriture »

« Immigrée en France, ma mère m’a transmis son amour de l’Algérie par la nourriture »

« Les personnes ayant un lien avec l’Algérie sont nombreuses, et la cuisine est un des rares sujets qui peut les réunir autour d’une table sans conflits »
Aline Princet « Les personnes ayant un lien avec l’Algérie sont nombreuses, et la cuisine est un des rares sujets qui peut les réunir autour d’une table sans conflits »

Aline Princet

« Les personnes ayant un lien avec l’Algérie sont nombreuses, et la cuisine est un des rares sujets qui peut les réunir autour d’une table sans conflits »

TÉMOIGNAGE – J’ai vécu en Algérie les premières années de mon existence, avant que mes parents ne décident de venir s’installer en France de manière un peu précipitée. Ce départ, motivé par l’état de santé de ma petite sœur qui avait besoin de soins médicaux de l’autre côté de la mer Méditerranée, a été un nouveau départ pour notre famille.

Dans les années qui ont suivi, mes parents ont mis l’accent sur la culture de leur pays d’adoption. On parlait très rarement arabe à la maison. En Algérie, la décennie noire a commencé, et y aller pour les vacances était exclu. Pour nous transmettre nos racines, le lieu d’apprentissage principal a été la cuisine, où ma mère passait beaucoup de temps.

La cuisine, une manière de montrer son amour

Il me semble que dans la plupart des cultures méditerranéennes, la cuisine est un moyen, pour les mères, de montrer leur amour. En tout cas, c’est le cas de la mienne. Dès l’enfance, à chaque événement important, elle cuisinait pour la famille des plats algériens – de préférence le plat préféré d’un de ses cinq enfants : la rechta (plat typique d’Alger à base de pâtes fraîches artisanales) ou la chakhchoukha (un plat de fête composé de crêpes fines émiettées), par exemple.

Pour elle, c’était tout un projet. Elle faisait les courses des jours à l’avance, se levait tôt pour passer sa journée aux fourneaux… C’était sa manière de nous traduire toute l’affection et le soin qu’elle nous portait. Cette habitude n’a d’ailleurs certainement pas commencé avec sa génération : je me souviens des moments privilégiés que j’ai passés, quand nous vivions encore en Algérie, avec mon grand-père autour d’un khorchef (tajine aux cardons), notre plat préféré à tous les deux, ou de mes grands-mères qui redoublaient d’efforts pour faire des tablées aussi belles que généreuses pendant le ramadan.

Pendant très longtemps, je ne me suis absolument pas rendu compte du sous-texte de cet attachement à la cuisine. J’étais sûrement un peu plus intéressée par le moment de manger que par le moment de la préparation. Avec mes sœurs, nous avions même souvent tendance à nous plaindre en riant que ma mère cuisinait trop, que nous ne pourrions jamais manger tout ce qu’elle préparait. Mais j’ai toujours gardé en tête ces souvenirs de moments en famille heureux. La cuisine algérienne, c’était un cocon, un foyer.

La transmission par la nourriture

Ce n’est que bien plus tard que j’ai compris l’importance de ce lien. Quand je suis devenue mère moi-même, j’ai découvert que je pouvais moi aussi cultiver l’envie de passer du temps en cuisine pour faire plaisir à celles et ceux que j’aime. Mais il m’a fallu du temps pour apprendre à faire les plats que mes enfants avaient l’habitude de manger chez leurs grands-parents.

Nos parents nous ont souvent répété un proverbe algérien qui peut se traduire comme ça : « Les biens que les parents te lèguent finissent par disparaître, mais les apprentissages restent ». L’idée, c’était de nous faire comprendre qu’en ayant recommencé leur vie à zéro en France, ils n’auraient pas énormément de biens matériels à nous léguer mais qu’ils nous légueraient des connaissances, dont nos racines algériennes faisaient partie.

Pour moi, cet héritage a pris la forme d’un petit livre que ma mère a emporté dans ses bagages lors du départ vers la France, alors qu’ils laissaient une grande partie de leur vie derrière eux. La cuisine algérienne de Fatima-Zohra Bouayed, édité en 1976. Aussi loin que mes souvenirs remontent, je l’ai toujours vue en cuisine avec ce livre. Je me souviens de la regarder feuilleter les pages – qui aujourd’hui dans un piètre état – pour chercher des recettes sucrées ou salées.

Prendre le temps d’apprendre

Il y a quelques années, lors d’un repas de fête à la maison, ma mère a déploré que je ne sache pas cuisiner la plupart de ces plats algériens. J’ai répondu, comme souvent, que je n’avais pas le temps d’apprendre et cette fois-ci, elle est allée chercher ce livre. Elle me l’a donné en me disant « Prends le temps d’apprendre. Chaque fois que tu fais une recette, tu m’appelles. »

Le soir même, j’ai feuilleté le livre. Chaque recette me rappelait des bons moments, et je me suis dit « C’est dingue, il n’y a aucun restaurant qui sert ces spécialités ». Mon mari m’a répondu en riant « T’as qu’à ouvrir un resto », et l’idée a germé dans ma tête. À 38 ans, j’étais en quête de sens et après un parcours qui m’avait beaucoup épanouie dans le monde de l’entreprise, j’avais envie de me reconvertir.

C’est comme ça qu’est née l’idée d’ouvrir un restaurant – traiteur de spécialités algériennes. Et pour m’accompagner dans ce parcours, qui d’autre que ma mère comme cheffe ? La cuisine algérienne peut avoir la réputation d’être mauvaise pour la santé, d’être trop grasse. Je voulais casser les clichés et montrer que cette cuisine est riche, variée, et qu’elle peut être aussi fine qu’elle est conviviale. Nous nous sommes formées toutes les deux auprès de professionnels pointus et il y a quatre ans, nous avons ouvert les portes du restaurant et traiteur « Mama Nissa » à Paris.

Partager des souvenirs autour d’un repas

En travaillant avec ma mère autour de la cuisine, la transmission continue. Ce sont ses recettes familiales et traditionnelles qu’elle inculque à toute une équipe de professionnels qu’elle chapeaute en cuisine. Et pour les partager au grand public, nous avons aussi écrit un livre de recettes ensemble, Goûts d’Algérie.

Ce que nous constatons depuis l’ouverture du restaurant et la parution du livre, c’est qu’en France, les personnes ayant un lien direct ou indirect avec l’Algérie sont très nombreuses, et la cuisine est un des rares sujets qui peut tous et toutes les réunir autour d’une table sans conflit. Je le vois tous les jours au restaurant : des gens très différents se rencontrent et parlent de leur rapport à chaque plat. Ce faisant, ils racontent aussi leurs histoires, leurs souvenirs souvent émouvants. Une fête, un mariage, un décès, une invitation précieuse… Sans compter les plats qui leur rappellent leur enfance en Algérie, un endroit où ils ne sont parfois jamais retournés. Je constate chez nombre d’entre eux que même s’ils ont quitté l’Algérie, l’Algérie ne les a jamais quittés.

En partageant la cuisine, ils partagent une part de leur histoire. L’Algérie est un pays vaste qui n’offre pas les mêmes produits dans le nord méditérranéen ou dans les Oasis de Biskra ou BouSaada, au sud. Ces paysages font naître des spécialités culinaires différentes, façonnées aussi par les populations qui les ont traversées et leurs techniques. Les perpétuer, c’est un moyen d’honorer ses racines même si, comme moi, on les a désormais plantées ailleurs.

Le livre de recette est quant à lui un témoignage de la transmission familiale qui a eu lieu entre ma mère et moi, mais aussi un outil de transmission en lui-même. Parce que la culture algérienne est une culture de l’oralité et une culture de la reproduction, nombreux sont celles et ceux qui ont une madeleine de Proust parmi les plats algériens, mais qui ont perdu la personne qui aurait pu leur apprendre à comment faire. Nous espérons que Goûts d’Algérie leur permettra de se réapproprier ces plats comme ils le souhaitent. C’est ce qui se passe dans notre famille : ma fille de 12 ans apprend avec sa grand-mère, partage sa recette de Mouskoutchou (l’équivalent d’un gâteau au yaourt) avec ses copines, et propose même ses modifications.

Ce témoignage a été recueilli et édité par Aïda Djoupa. Vous avez une histoire à partager ? Écrivez-nous à temoignage@huffpost.fr, nous vous répondrons avec la marche à suivre.

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