Algérie. Cinq ans après le Hirak, journalistes et militants privés de liberté de mouvement

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Algérie. Cinq ans après le Hirak, journalistes et militants privés de liberté de mouvement

En principe, dans une démocratie, nul ne doit être derrière les barreaux à cause seulement de ses opinions politiques. Mais, dans son rapport mondial 2023, Human Rights Watch a constaté avec regret que “les autorités algériennes ont poursuivi leur répression de toute dissidence, en dépit d’une accalmie dans les manifestations antigouvernementales (le Hirak, NDLR), en imposant des restrictions à l’exercice des libertés d’expression, d’association, de réunion et de déplacement. Des activistes, des défenseurs des droits humains, des journalistes et des avocats ont été poursuivis en justice pour leur activisme pacifique, leurs opinions, ou à cause de leur profession.”

Poursuivant, l’ONG de défense des droits humains a affirmé ceci : “En octobre 2023, environ 250 personnes étaient incarcérées pour leur participation à des manifestations pacifiques, pour leur activisme ou pour avoir exprimé des opinions, dont un tiers était en détention provisoire dans l’attente d’un procès.”

À en croire Human Rights Watch, “les autorités ont eu recours de plus en plus souvent à des chefs d’accusation relatifs au terrorisme, après avoir accru la portée d’une définition déjà large et vague de ce crime en juin 2021, pour poursuivre des défenseurs des droits humains, des activistes et d’autres personnes critiquant le gouvernement. Elles ont également pris des mesures juridiques pour dissoudre des organisations de la société civile et des partis politiques d’opposition, ou pour restreindre leurs activités.”

Multiplication des interdictions de sortie du territoire

Debout, face caméra, Wafia dissimule à peine une colère blanche. “Je suis empêchée de quitter le pays alors que je n’ai rien fait de mal. C’est injuste. Aucune décision de justice n’est émise à mon encontre”, a-t-elle expliqué.

La trentenaire, bonnet noir sur des cheveux lâchés, tricot bleu et passeport algérien en main, s’adressait à ses milliers d’abonnés sur les réseaux sociaux. Wafia venait d’être refoulée, le 31 décembre 2023, à la frontière. Elle s’apprêtait à accompagner un groupe de touristes partis passer la nuit du Nouvel An en Tunisie voisine.

Comme Wafia, des dizaines d’Algériens sont interdits de quitter le territoire national depuis les manifestations du Hirak, en 2019. Ils sont privés de l’un des droits les plus élémentaires reconnus dans la Constitution.

Marzouk Touati est dans ce cas. Blogueur devenu journaliste, il a effectué plusieurs séjours en prison à cause de ses publications sur les réseaux sociaux. Ce jeune homme svelte, le crâne dégarni, habite à Béjaïa, en Kabylie [dans le nord du pays]. Il a introduit une demande pour renouveler son passeport depuis octobre 2019.

Après de nombreuses requêtes infructueuses, les autorités administratives ont signifié à Marzouk leur refus de lui accorder le document de voyage voulu, “après un avis défavorable des services compétents”, a indiqué la sous-préfecture de Béjaïa dans une réponse à l’intéressé.

Mais il y a plus que cela : le procureur du tribunal de la ville a prononcé à son encontre “une interdiction de sortie du territoire national”. Une décision valable “trois mois” et “renouvelable une fois”. L’article 36 bis, alinéa 2, du Code de procédure pénale prévoit néanmoins de dépasser ce délai lorsque le mis en cause est soupçonné de détournements de deniers publics ou de faits liés au terrorisme.

“Je suppose qu’une enquête, puisque je ne suis en rien concerné par les affaires d’argent, est ouverte contre moi pour terrorisme”, a déduit Marzouk Touati, qui, malgré tout, continue d’écrire sur la situation des détenus d’opinion.

“Comme bon lui semble”

Les interdictions de sortie du territoire national n’émanent pas toujours de la justice. Wafia est inquiétée pour des vidéos postées sur les plateformes [numériques]. “Dans certains cas, les services de sécurité envoient des courriers à la police des frontières pour qu’elle puisse procéder au contrôle d’individus fichés. Les policiers prennent alors cela pour une interdiction de quitter le sol algérien”, nous a révélé une source au fait de ces affaires.

“Il y a carrément une liste de personnes, en majorité des membres du Hirak”, a ajouté un activiste. La plupart du temps, les personnes concernées ne savent même pas que leurs faits et gestes sont surveillés.

“Après avoir purgé ma peine de prison, j’ai tenté de quitter le pays pour me rendre en Tunisie. Les policiers m’ont dit que je ne pouvais pas. Pourtant, le procureur m’a clairement dit que je ne faisais plus l’objet d’une interdiction de sortie du territoire national”, a raconté Mustapha Bendjama, journaliste, aujourd’hui en prison sur la base de plusieurs dossiers dont au moins deux liées à son métier.

Le professionnel de l’information a demandé des explications aux autorités. En vain. Ses avocats ont ainsi dénoncé un abus de pouvoir. “L’interdiction de sortie du territoire national est une disposition que le pouvoir utilise comme bon lui semble. Elle doit être retirée du corpus juridique”, a plaidé Abdelghani Badi, un célèbre avocat des détenus d’opinion.

Inquiétude onusienne

Dans le lot des Algériens subissant des restrictions de mouvement, il y a énormément de citoyens vivant à l’étranger. Depuis que certains d’entre eux ont été interpellés à leur retour au pays – relâchés en majorité à la suite d’enquêtes –, beaucoup ne veulent pas du tout courir ce risque.

“Je ne souhaite pas perdre mon travail, me séparer de mes enfants et de mon mari. Face à cette éventualité, je préfère ne pas rentrer chez moi, même si je n’ai rien à me reprocher”, a fait savoir Malika, une journaliste établie en France et dont le père malade vit en Algérie. Quelques-uns de ses proches ont parfois été bloqués durant des mois dans le pays.

Ahviv Makdem a, lui, déjà perdu un parent. Toutefois, il est obligé de faire le deuil à distance. “Je suis triste parce que mère est partie. Je suis malheureux car je ne l’ai pas vue depuis des lustres. Je suis affligé parce qu’en allant la voir, je me retrouverais en prison. Je trouve cela injuste”, a écrit ce militant de la cause kabyle, en exil à Paris, après le décès de sa maman le 31 décembre dernier.

La situation est tellement problématique que la rapporteuse spéciale des Nations unies pour les droits de l’homme, Mary Lawlor, en a parlé lors de sa récente visite en Algérie. “Plusieurs défenseurs des droits de l’homme m’ont dit qu’ils n’étaient pas autorisés à voyager et qu’ils n’avaient reçu aucune notification officielle d’un tel ordre. Ils n’ont découvert qu’ils étaient interdits de voyager que lorsqu’ils ont tenté de quitter le pays”, a-t-elle indiqué dans le rapport préliminaire ayant sanctionné son séjour le 5 décembre 2023.

Dans ce document, elle a recommandé au gouvernement algérien de supprimer de son arsenal juridique “les interdictions de sortie du territoire national utilisées pour limiter les déplacements des défenseurs des droits de l’homme à l’étranger”. Publiquement, les autorités ne se sont jamais exprimées sur le sujet.

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