quand le Raj britannique inspirait Cartier

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quand le Raj britannique inspirait Cartier


Les minutes du conseil d’administration l’attestent : Cartier veut devenir, dès le début du XXe siècle, le premier joaillier du monde. Pour y parvenir, la maison, créée en 1847, bénéficie d’un atout : trois jeunes frères, petits-fils du fondateur, qui ont décidé de se partager le globe. À Paris, Louis, l’aîné, va régner sur une équipe de dessinateurs qu’il a lui-même constituée et avec laquelle il va fonder le style Cartier. Pierre, le cadet, va exercer son sens du contact à New York en séduisant les nouveaux capitaines d’industrie. Jacques, le benjamin, va rejoindre Londres pour y diriger une succursale. L’installation en Angleterre répondait initialement à un objectif : satisfaire le prince de Galles, grand familier de la rue de la Paix. Cet arbitre des élégances avait en effet, dès le décès de la reine Victoria, suggéré aux Cartier de traverser la Manche afin d’être prêts pour le couronnement.

Le conseil était judicieux : les créations de style guirlande – les diadèmes notamment – avaient provoqué un flux ininterrompu de commandes. Mais, neuf ans seulement après sa mère, Édouard VII succombe à son tour. En Inde, joyau de l’Empire britannique, le couronnement de George V, en 1911, va nécessairement être suivi de festivités que l’on appelle le durbar de Delhi. Ce rassemblement doit accueillir les nouveaux souverains lors d’une cérémonie où les bijoux sont au centre de la scène  : parures pour les 12 000 invités et présents pour le roi et la reine, qui deviennent à cette occasion empereur et impératrice des Indes. L’importance de l’événement persuade Louis et son père Alfred d’envoyer sur place un membre de la famille pour établir une proximité à long terme avec les maharajas, tout en associant dans l’esprit des clients occidentaux le nom de Cartier aux fastes de l’Orient. Jacques est désigné. Ce premier voyage – il sera suivi de plusieurs autres, notamment à Ceylan en 1926 – s’avère décisif puisqu’il inaugure un partage d’idées, de découvertes et d’amitiés par-delà les océans.

Succès retentissant. De Calcutta à Patiala, d’Indore à Baroda, Jacques découvre le monde des souverains indiens et leurs goûts. Il est parfois prié de dresser une liste des fabuleuses pierres précieuses – des ensembles incomparables par leur quantité et leur qualité – qui lui sont présentées afin de les réutiliser éventuellement sur des montures européennes en platine. Mais ce premier voyage n’est pas suivi de commandes prestigieuses : il faut du temps pour nouer des relations de confiance avec les souverains indiens. À son retour à Paris, Jacques partage avec Louis ses impressions. Une exposition baptisée « Bijoux orientaux et objets d’art récemment collectés en Inde » est organisée par Cartier Londres. Un succès retentissant. Bien avant que les voyages en Orient ne deviennent à la mode parmi l’élite, la maison subjugue les foules avec ses émeraudes sculptées, ses perles fines de grande taille, ses jades moghols. Cet échange entremêlant les époques, les cultures et les horizons va favoriser après guerre, grâce à l’œil de Louis et à la curiosité de Jacques, la naissance de créations incarnant une vision universelle du style.

Acte de connaissance. « Louis Cartier et ses frères avaient une démarche de collectionneurs. Leurs tempéraments et leurs cultures les portaient à dédaigner l’orientalisme de pacotille du XIXe siècle et ses effets de pittoresque. Leurs explorations des autres cultures, qui se matérialisaient par des rapprochements formels parfois insoupçonnables au premier regard, étaient fondamentalement respectueuses et érudites. Elles s’enracinaient dans une quête d’authenticité », précise Évelyne Possémé, l’une des quatre commissaires de l’exposition « Cartier et les arts de l’Islam ». Fruit de cinq ans de recherches, ce projet, produit tout d’abord avec le Dallas Museum of Art, a été présenté ensuite au musée des Arts décoratifs durant l’hiver 2021-2022. Enrichi d’œuvres inédites, il se tient désormais au Louvre Abou Dhabi. « La grammaire stylistique de la maison s’appuie avant tout sur un acte de connaissance. C’est une démarche de curiosité et une quête de l’essence », résume Pierre Rainero, directeur de l’image, du style et du patrimoine Cartier.

« Contrairement à ce qu’on pourrait croire, les bijoux indiens ou hindous de Cartier, et notamment ceux qu’on a baptisés beaucoup plus tard Tutti Frutti, étaient des créations originales, à la fois du point de vue indien et du point de vue européen. La devise de Louis Cartier, partagée avec ses deux frères, était de ne jamais copier, de toujours créer. L’idée était que l’inspiration pouvait et devait provenir de partout, sauf de bijoux qui existaient déjà. Même les plus petits détails, comme la forme d’un fermoir, étaient nourris de l’étude d’œuvres d’art, entremêlaient l’antique et le nouveau », indique Francesca Cartier Brickell, qui tient cette explication de son grand-père. L’inspiration indienne devient ainsi un des codes esthétiques de la maison. Un nombre important de ces créations sont aujourd’hui conservées au sein de la collection Cartier – un ensemble patrimonial constitué à partir de 1983 et représentatif de l’histoire de Cartier, qui s’étend désormais sur trois siècles. « Dès le départ, cette collection avait vocation à être présentée dans de grands musées dans le cadre d’expositions », indique Pascale Lepeu, qui dirige cette entité permettant au grand public d’appréhender un goût toujours vivace.

« Cartier. Arts de l’Islam et modernité », au Louvre Abou Dhabi, jusqu’en mars 2024.

Des diamants de légende

On ne compte plus les diamants qui ont jalonné l’épopée du joaillier Chaumet : la maison a ciselé les parures de l’impératrice Joséphine, de l’impératrice Marie-Louise, a significativement contribué à l’exécution des insignes de Maximilien Ier de Bavière – qui comprennent le diamant bleu Wittelsbach – et a serti les diamants de l’épée de Napoléon. Sur cette épée figurait le Régent, diamant de 140 carats, découvert à Golconde en 1698 et qui brille désormais au Louvre.

Autres gemmes d’anthologie : les deux poires extraordinaires de 46,70 et 46,95 carats suspendues à un collier souple de diamants formant un nœud simple (photo). La facture moderne de cette création, imaginée par Joseph Chaumet, séduisit le souverain indien Tukoji Rao Holkar III, maharaja d’Indore en 1913. Une huile sur toile (photo), exécutée en 1933 par Bernard Boutet de Monvel, donne une juste idée de la dimension spectaculaire de ces pierres royales. En 1947, les deux diamants poires sont acquis par Harry Winston qui les présente dans une exposition itinérante avant de les vendre, dans les années 1970, au discret Franco-Libanais Robert Mouawad, à la tête d’un empire joaillier et hôtelier § H. D.

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