L’Inde, plus puissante que la Chine ?

- Advertisement -

L’Inde, plus puissante que la Chine ?


Puisque les deux tiers de la population mondiale vivent déjà à l’est d’Istanbul, l’affaire est entendue : le XXIe siècle sera asiatique. Mais sera-t-il chinois, comme beaucoup le proclament, ou plutôt indien ? Ce match-là n’est pas encore joué ; car la grande affaire du moment n’est pas seulement le ralentissement de la Chine, enfermée dans un carcan totalitaire qui nuit aux affaires. C’est surtout l’essor de l’Inde, une ancienne civilisation qui, comme l’empire du Milieu, a connu ses heures de gloire, avant de s’effacer à partir du XVIIIe siècle devant la révolution industrielle européenne. L’heure de la revanche a sonné. Le fait que l’ancienne puissance coloniale britannique soit désormais gouvernée par le Premier ministre Rishi Sunak, hindou pratiquant, petit-fils d’immigrés indiens passés par l’Afrique orientale, en est un signe fort.

Nous avons beaucoup à apprendre de l’Inde, et pas seulement parce qu’elle est la plus grande démocratie du monde ou qu’elle a inventé le bouddhisme, le yoga et l’ayurvéda. Si l’Inde enchante notre imaginaire, c’est qu’elle incarne un possible antidote à notre sentiment de culpabilité consumériste et matérialiste. Le Premier ministre, Narendra Modi, joue admirablement de ce fantasme occidental, lui qui considère son pays comme un vishwa guru, un gourou mondial. Le soft power de l’Inde est considérable, de la vogue végétarienne au cinéma de Bollywood en passant par la tentaculaire diaspora indienne (28 millions de personnes, dont les patrons de Microsoft, de Google ou d’IBM).

Première puissance démographique. Et pourtant ! Bien loin des vues technophobes du Mahatma Gandhi, l’Inde avance à grands pas vers cette société de consommation qui a permis l’enrichissement démesuré de ses magnats , mais aussi, et c’est le plus important, la sortie de la grande pauvreté d’une part considérable de la population : 415 millions de personnes depuis quinze ans, indiquait l’été dernier un rapport du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Sa croissance économique galope désormais devant celle de son rival. Et, cette année, l’Inde a ravi à la Chine le titre de première puissance démographique, avec 1,43 milliard d’habitants. Narendra Modi lui fixe l’objectif de dépasser le Japon et l’Allemagne pour devenir le numéro trois économique mondial en 2030, derrière les États-Unis et la Chine. Son pays était encore numéro dix quand il est parvenu au pouvoir en 2014.

L’Inde profite à fond des tensions géopolitiques. La guerre en Ukraine ainsi que le bras de fer entre l’Amérique et la Chine lui ont permis de se positionner comme un contrepoids déterminant dans l’équilibre mondial des forces. Longtemps, elle a refusé de choisir entre Pékin et Washington ; aujourd’hui, l’antipathie l’emporte à l’égard de la Chine, dont l’agressivité a incité Delhi à se rapprocher de Washington, de Canberra et de Tokyo, en surfant sur le concept antichinois « d’Indopacifique ». L’Inde reste néanmoins attachée à son autonomie stratégique et elle partage avec Pékin et Moscou l’objectif de rééquilibrer un ordre mondial encore largement occidental. Le chef de la diplomatie indienne, Subrahmanyam Jaishankar, a résumé la doctrine de politique étrangère de Delhi en juin 2022 d’une phrase éclairante : « Il faut en finir avec la mentalité selon laquelle les problèmes de l’Europe sont ceux du monde, mais ceux du monde ne sont pas ceux de l’Europe. »

Carte identitaire. L’Inde entend bien imposer son agenda. Suivant son intérêt, elle a augmenté ses importations de pétrole russe à bon marché après l’invasion de l’Ukraine (qu’elle a refusé de condamner) et elle diversifie ses sources d’achats d’armes en se fournissant toujours en Russie mais aussi en France et aux États-Unis. En revanche, elle est le seul des grands pays du Sud à avoir condamné sans ambiguïté les pogroms du Hamas le 7 octobre en Israël. Les tensions entre la majorité hindoue (80 % de la population) et la minorité musulmane (elle est la plus importante du monde, avec 200 millions de personnes) ne sont qu’un des problèmes que l’Inde devra surmonter si elle entend parvenir à ses fins.

Modi joue la carte identitaire hindoue sans complexe ; il caresse l’idée de rebaptiser son pays « Bharat », utilisant la vieille appellation issue du sanskrit, plutôt que « Inde » qui rappelle trop la colonisation britannique. Pourtant « Inde », par référence au fleuve Indus, dérive aussi du sanskrit. Mais le nationalisme hindou militant ne s’embarrasse pas de détails dans sa réécriture de l’HistoireLa popularité du Premier ministre devrait lui permettre d’obtenir un troisième mandat à la tête du pays en 2024.

Volontarisme. Mais son populisme a aussi dégradé la qualité de la démocratie indienne. Et malgré les progrès, la structure des castes, la domination masculine (les femmes sont peu autorisées à travailler par leurs familles), une bureaucratie toujours étouffante et des infrastructures vétustes sont autant de handicaps. L’Inde produit encore 3 fois moins de richesses que la Chine chaque année ; ses dépenses militaires sont 4 fois inférieures. Delhi figure au 132e rang mondial dans l’indice de développement humain établi par l’ONU. Laquelle estime que l’Inde serait 27 % plus riche si les femmes avaient accès au marché de l’emploi.

« L’heure de l’Inde est venue », écrivait Narendra Modi dans son programme électoral en 2019. Il y avait beaucoup de volontarisme dans cette affirmation. Mais alors qu’il vient de lancer son pays à la conquête de la Lune, nul doute qu’il surfera sur les mêmes thèmes nationalistes lors de sa campagne électorale de 2024. Avec en ligne de mire la consolidation de son pouvoir et la domination de l’Asie, qu’il entend prendre à la Chine. Les Indiens y croient : selon un sondage publié cet automne par l’European Council on Foreign Relations (ECFR), ils sont à 86 % optimistes quant à l’avenir de leur pays. Un autre record mondial.


Cet article est apparu en premier sur https://www.lepoint.fr/monde/l-inde-plus-puissante-que-la-chine-21-12-2023-2547862_24.php


.

- Advertisement -