En Tunisie, Farouk Bouasker, l’homme de Kaïs Saïed à l’Isie


En Tunisie, Farouk Bouasker, l’homme de Kaïs Saïed à l’Isie

L’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), qui semble désormais toute puissante, écarte toutes les critiques de ses contradicteurs, en particulier celles de la Haute Autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica), qui n’a pu jouer son rôle de régulateur et de « gendarme des médias » lors de la campagne du premier tour des législatives du 17 décembre.

Farouk Bouasker, un magistrat nommé par le chef de l’État, Kaïs Saïed, a indéniablement imprimé sa marque au sein de l’instance, qu’il dirige depuis mai dernier et à laquelle il confère davantage de prérogatives qu’elle n’en a dans les textes. Prompt à écarter d’un revers de la main tout avis divergent en interne, il a conduit, seul, le processus d’organisation des élections selon un Code électoral qui donne à l’Isie la haute main sur l’ensemble des opérations. Une méthode en tous points similaire à celle adoptée par Kaïs Saïed.

Un fidèle du président

Farouk Bouasker est d’ailleurs l’un des fidèles du président. Il continue de jouir de sa confiance malgré des couacs à répétition, notamment au moment de l’annonce des résultats préliminaires du référendum du 25 juillet 2022 et au moment de celle du premier tour des législatives du 17 décembre suivant. Après avoir indiqué, durant la soirée électorale, que le taux de participation aux législatives était de 8,8 % et avoir imputé la faiblesse de ce pourcentage à « l’absence de corruption et de financement politique », Bouasker a finalement annoncé, le lendemain, que ce taux était de 11,2 %. Pour justifier ces cafouillages, il a invoqué des pannes de réseaux et la fermeture tardive de certains bureaux de vote. Des explications qui peinent à convaincre et tendent à jeter le discrédit sur l’Isie. Mohamed Tlili Mansri, pourtant porte-parole et membre de l’instance, a affirmé que les propos de Bouasker « n’engag[ai]ent que lui ».

Le président de l’Isie connaît particulièrement bien la maison qu’il dirige, puisqu’il en est membre depuis sa création, en 2011. Il a, depuis, été associé à l’organisation de tous les scrutins du pays. Tenté, à ses débuts, par une carrière de diplomate, Bouasker a finalement opté pour le droit après avoir réussi le concours de l’Institut supérieur de la magistrature (ISM), dont les résultats lui étaient parvenus avant ceux de l’Institut des affaires étrangères, dont il avait également passé l’examen.

Né en 1979 dans une famille d’agriculteurs de Zaouiet Sousse, dans les environs de Msaken (Sahel), il a gardé de ses jeunes années un goût pour le terroir et une passion prononcée pour la chasse. Élevé par un père convaincu que la réussite s’obtient par les études, il a fréquenté la faculté des sciences juridiques de Tunis puis la faculté de droit de Sousse. Pendant ces années, il aura pour professeur un certain Kaïs Saïed, qu’il retrouvera au lendemain de la révolution de 2011.

Un magistrat très politique

Homme discret, ce père de trois enfants a mené une carrière de juriste, qui prend depuis deux ans un tour plus politique. En tant que juge, il a essentiellement exercé à Sousse, la « perle du Sahel », où il compte parmi les notables régionaux, comme avant lui l’un de ses oncles, Ridha Grira, qui fut ministre de la Défense sous la présidence de Zine el-Abidine Ben Ali.

En 2016, Farouk Bouasker est nommé à Kasserine, où il traite des affaires de terrorisme, véritable menace pour la stabilité du pays. Parallèlement à ses fonctions de juge, sur lesquelles il met un point d’honneur à ne jamais s’exprimer publiquement, il se lance en politique. Dans la foulée de la révolution de 2011, le conseil municipal de sa commune de naissance, Zaouiet Sousse, est dissous. Bouasker, qui bénéficie d’une solide réputation – et d’appuis familiaux locaux – devient maire par intérim. Lorsqu’il prend le poste, en 2013, c’est pour une période indéterminée. Il restera finalement jusqu’en 2018.

La transition démocratique est, pour Bouasker comme pour beaucoup de juristes, tout à la fois une fabuleuse opportunité et un apprentissage que valorise un passage par l’Isie. Il fait ses premières armes au sein de cette instance en 2011, dans la section de Sousse, pour préparer l’élection d’une Constituante. À l’occasion de la présidentielle et des législatives de 2014, il sera formateur en matière de processus électoral. En 2017, il devient président de la section de Sousse. La même année, il intègre le conseil de l’Isie, en tant que représentant du corps des magistrats. Deux ans plus tard, il devient premier vice-président de l’instance, avant que Kaïs Saïed ne le nomme président, en mai 2022.

Vers un ministère ?

Bouasker peut se targuer d’avoir été de tous les débats au sein de l’Isie et de connaître sur le bout des doigts tous les problèmes auxquelles celle-ci est confrontée. Dans ses dernières déclarations, il a d’ailleurs soigneusement omis de rappeler qu’il était l’un des dirigeants de l’Isie lors des scrutins précédents, qu’il décrits comme « pervertis par l’argent sale ». « À l’époque, il ne s’exprimait pas beaucoup et, s’il désapprouvait ce qu’il se passait, il aurait pu démissionner comme l’a fait son prédécesseur, Chafik Sarsar », souligne, sous le couvert de l’anonymat, l’un des membres du réseau Mourakiboun (ex-Association tunisienne d’éveil démocratique, née en 2011), qui s’est donné pour mission d’observer les processus électoraux et d’en évaluer la transparence et l’équité.

Mais, pour Farouk Bouasker, désormais surexposé médiatiquement, l’époque de la discrétion semble bel et bien révolue. Chacune de ses paroles est passée au crible. Le magistrat, que ceux qui l’ont croisé disent peu tolérant à la critique, nourrirait, selon plusieurs de ses proches, des ambitions politiques. Il espère obtenir un poste ministériel à la faveur du prochain remaniement.

Il pourrait néanmoins pâtir de certaines de ses prises de position, parfois extrêmes, et de quelques maladresses. Le 22 décembre, l’Isie a publié au Journal officiel un rapport sur le référendum de juillet 2022 dans lequel figure, notamment, une liste de pages Facebook et de personnalités contre lesquelles l’Isie a intenté des poursuites au motif qu’elles avaient raillé le président Kaïs Saïed ou l’instance. Du jamais-vu, tant dans les pages du J.O. que de la part de l’Isie.

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