Coupe du monde : en France, le match des identités autour du foot continue , Jeune Afrique


Coupe du monde : en France, le match des identités autour du foot continue

Le Maroc a perdu sa demi-finale de Coupe du monde contre la France. Les joueurs sont sortis du terrain dignes et fiers, les Marocains d’ici et d’ailleurs ne se sont pas transformés en émeutiers, et la plus belle avenue du monde n’a pas été le théâtre de la guerre civile annoncée. Pourtant, quelques heures avant le match, la fièvre avait atteint son paroxysme. Les langues s’étaient déliées. Pour quelqu’un qui vit et travaille en France, le malaise n’avait cessé de grandir.

Esprit revanchard

Qu’un Zemmour ou un Bardella instrumentalise le foot pour servir une cause qui lève le voile sur un racisme abject, rien de plus normal, mais que des intellectuels qui se pensent « organiques » soient les précurseurs d’une culture de la haine, amplifient et diffusent la peur entretenue par une extrême droite qui nourrit des ambitions sur le dos d’une partie de la société, vieillissante et déclassée, pose problème.

Alain Finkielkraut, qui sévit sur une radio publique française tous les samedis, n’a pas hésité à parler de « francophobie » sur une chaîne d’information continue pour commenter les incidents (trois vitres cassées…) qui ont accompagné les célébrations de la victoire du Maroc par 20 000 personnes sur les Champs-Élysées, à Paris, soulignant que « la présence du drapeau palestinien et le fait que les Africains et les Arabes s’identifient aux Marocains [avaient] quelque chose d’inquiétant ». Michel Onfray, lui, parle de guerre de civilisations et juge qu’être un binational franco-européen et, surtout, un Franco-Israélien qui effectue son service militaire en Israël et fait  « l’alyah » [l’immigration d’un juif en Israël] n’est pas la même chose qu’un Franco-Maghrébin qui brandit le drapeau du pays de ses aïeuls. Ce dernier serait selon lui le symbole d’un esprit revanchard et marquerait l’échec programmé d’une intégration impossible juste parce que ce Français est arabe et musulman.

« Tête d’avocat »

Cette rhétorique de la haine exprimée doctement fait mal et met à mal le passé et le présent de la patrie des droits de l’homme. Elle ne mérite que l’indifférence parce qu’elle n’est pas représentative d’une France de la diversité assumée depuis la Coupe du monde de 1998, moment de grâce que la séquence marocaine actuelle reproduit d’une certaine façon. Ce qui m’importe, c’est que les Marocains vivent ce moment de grâce qui fournit à un vieux pays les ingrédients pour construire son chemin de modernité et fabriquer le récit qui décuple les énergies pour l’emprunter.

Le fait que les Arabes, les Africains ou les musulmans partagent cette épopée ou se l’approprient dans un même élan que celui qui avait porté les pays d’Amérique latine en 1986 n’a rien d’étonnant. Toute une génération des pays du Sud avait célébré « la main de Dieu de Maradona » pour exprimer son soutien à une Argentine battue par l’Angleterre lors de la guerre des Malouines.

Deux faits marquants au Qatar : la normalité et l’excellence de l’organisation, alors qu’on nous promettait le chaos, et le parcours du Maroc et de l’entraîneur « tête d’avocat », qui régénère une vieille nation en explicitant son référentiel de valeurs.

Chemin de modernité

C’est le public marocain qui a fait de « l’avocat » – un fruit aussi moche que suspect parce que antiécologique et consommateur d’eau dans un pays en situation de stress hydrique – l’icône d’un nouveau paradigme qui dessine une voie de renouveau singulière où l’on se reconnaît tous. C’est là une prouesse beaucoup plus importante que de remporter une Coupe du monde.

Le Maroc qui sort de cette aventure est doté d’un répertoire de valeurs réinventées en osmose avec sa culture associant des mamans et des experts en développement personnel, raison et émotion, niya et énergie positive, individu et groupe, esprit de corps et performance individuelle.

Le Maroc qui sort de cette aventure nous dit que la diversité est une richesse et que la société parie sur l’inclusion et n’a de revanche à prendre sur personne. Elle réclame juste le droit à la reconnaissance de l’effort, du travail, et au respect d’une trajectoire aussi originale qu’inédite d’une vieille nation portée par un imaginaire qui se ressource dans le temps long.

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