Abandonner ou s’accrocher ? Le dilemme des étudiants indiens des universités ukrainiennes

Abandonner ou s’accrocher ? Le dilemme des étudiants indiens des universités ukrainiennes

Lorsqu’en 2020 Pralay Kumar Nayak a quitté la petite ville de Jaipur, dans l’État d’Odisha (est de l’Inde), pour se rendre en Ukraine, à 5 400 kilomètres de chez lui, ce jeune homme timide de 17 ans espérait rentrer au pays après six années d’études avec son diplôme de médecin en poche. Deux ans plus tard, avant même d’avoir pu commencer sa troisième année, il a décidé de changer de voie. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a bouleversé ses plans.

Comme Nayak, les quelque 20 000 étudiants indiens qui sont rentrés d’Ukraine en février et mars ignorent s’ils pourront y retourner pour achever leur cursus. Certains abandonnent la médecine, d’autres cherchent à étudier ailleurs ou attendent que le gouvernement indien leur trouve une place dans les écoles de médecine de leur pays.

Retour au pays et un rêve qui s’effondre

Lorsque la Russie a commencé à bombarder l’Ukraine, en février, Nayak s’est retrouvé bloqué pendant quinze jours à Kharkiv, dans l’est du pays. En mars, il a pu être évacué en Roumanie. Il avait espéré que la guerre prendrait bientôt fin et que les cours reprendraient vite. Mais, à mesure que les semaines, puis les mois, passaient, sans aucun signe de résolution du conflit, il a commencé à chercher une place dans une faculté de médecine en Inde.

En septembre, la Commission de médecine indienne a annoncé qu’elle ne prévoyait pas d’aménagement pour les étudiants en médecine originaires d’universités ukrainiennes dans les facultés indiennes. Le rêve de Nayak de devenir médecin s’est effondré. Il raconte avec déception :

“Avec l’accord de mes parents, j’ai décidé d’abandonner la médecine.”

Il vit maintenant à Bangalore, où il a commencé à suivre une licence de sciences.

Les Nayak vivent à Jajpur, à 100 kilomètres de Bhubaneswar, la capitale de l’Odisha. Basant Kumar Nayak, qui travaille dans une chaîne de télévision locale, hésitait au départ à envoyer son fils unique à l’étranger, d’autant plus en Ukraine, où la barrière de la langue était un obstacle de taille. Mais il a rencontré un autre médecin d’Odisha, Swadhin Mohapatra, qui avait étudié en Ukraine et s’y était installé. Mohapatra avait ouvert un cabinet de conseil en éducation qui aidait les étudiants indiens à s’inscrire dans les universités ukrainiennes. Grâce aux services de Basant, Nayak a été admis à l’Université nationale de médecine de Kharkiv. Les frais de scolarité pour un cursus de six ans s’élevaient à plus de 2 millions de roupies [23 600 euros]. Basant a utilisé toutes ses économies pour envoyer son fils en Ukraine.

950 étudiants indiens ont quitté Kharkiv à pied

Nayak était en deuxième année de médecine lorsque la Russie a envahi l’Ukraine et attaqué Kharkiv, à 40 kilomètres de la frontière russe. Nayak et ses amis ont dû se réfugier dans une station de métro pendant six jours. Avec les bombardements intensifs, ils ne s’aventuraient à l’extérieur que pour acheter de la nourriture et de l’eau. Nayak appelait l’ambassade de l’Inde à Kiev plusieurs fois par jour. Chaque fois, il recevait la même réponse : l’ambassade mettait tout en œuvre pour faire évacuer les étudiants. Finalement, c’est Mohapatra et d’autres enseignants qui sont venus à leur secours.

Le 1er mars, près de 950 étudiants indiens ont quitté Kharkiv à pied pour rejoindre la ville de Pesochin, en banlieue, malgré les lourdes frappes aériennes et les bombardements. De là, les équipes éducatives ont organisé des transferts en bus vers les pays voisins comme la Hongrie, la Roumanie et la Pologne, d’où l’ambassade indienne planifiait les vols d’évacuation. Quatorze jours après le début de la guerre, le 8 mars, Nayak est enfin arrivé à Bhubaneswar.

Pas d’espoir de reprendre des cours sur place

Malgré la joie initiale d’avoir réussi à échapper aux bombes, Nayak espérait retourner au plus vite en cours. À la mi-avril, l’université de médecine de Kharkiv a commencé à donner des cours en ligne. Les enseignants retranchés chez eux faisaient cours aux étudiants sur Internet. Les cours de langue, de philosophie et d’anatomie ont été réduits ou supprimés en raison des contraintes de temps.

Lorsque la troisième année a commencé en septembre après une pause semestrielle, Nayak a pris conscience que les universités ukrainiennes n’étaient pas en mesure de reprendre les cours en présentiel, et qu’il y avait peu de possibilités de retour sur place. Il a attendu que le gouvernement indien lui propose une solution.

Mais en juillet, puis en septembre, la Commission de médecine a réaffirmé qu’il n’existait aucune disposition administrative permettant aux étudiants en médecine des universités étrangères d’être transférés dans les universités indiennes. En septembre, Nayak a décidé d’abandonner la médecine. Il devra recommencer un nouveau diplôme en première année.

Des transferts peu facilités

Les choix sont limités pour les Indiens qui font leurs études en Ukraine. Ils peuvent certes demander un transfert dans l’université d’un autre pays, mais il leur faut pour cela fournir les notes des examens obtenus dans leur université ukrainienne. Or de nombreux étudiants rapportent qu’ils n’ont pas pu obtenir ces documents à cause de la situation chaotique en Ukraine.

Une autre solution serait de demander un transfert temporaire dans le cadre d’un “programme de mobilité”. Ce qui permettrait aux étudiants de continuer leurs études dans une autre université pour six mois ou un an, jusqu’à ce que la guerre en Ukraine prenne fin. Le diplôme serait validé par l’université ukrainienne.

Pratik Dhal, un étudiant en troisième année, explique que la Commission de médecine a publié une liste de 29 pays où les étudiants peuvent demander un transfert dans le cadre de ce programme de mobilité. “Mais le gouvernement ne facilite en rien ces transferts, déplore Dhal. Les étudiants doivent se débrouiller seuls.”

Dhal s’est donc adressé à la Cour suprême pour demander que les universités indiennes acceptent l’inscription des étudiants d’Ukraine. L’Inde compte 290 facultés de médecine privées. Les étudiants réclament que chaque institution accueille quelques-uns d’entre eux.

Des dossiers qui ne sont pas transférés

Dhal, qui est désormais à Cuttack, en Odisha, continue ses cours en ligne [avec l’université ukrainienne].

“Depuis que les frappes aériennes ont commencé, le 10 octobre, il y a des coupures d’électricité, et les profs ne peuvent plus faire cours en ligne. Nous ne savons plus quoi faire.”

L’ambassade indienne en Ukraine conseille aux étudiants de ne pas retourner dans le pays.

Dhal a également fait des demandes d’inscription dans des universités en Pologne et en Hongrie, sans succès. “Mon université [en Ukraine] ne transmet pas les documents nécessaires pour un transfert de dossier”, regrette-t-il.

Dans les universités les plus prisées de Géorgie, où les étudiants, de la deuxième à la cinquième année, pourraient demander un transfert, les places sont limitées en médecine. “C’est aussi le cas dans les autres pays”, assure Karan Singh Sandhu, directeur d’Edu Pedia Overseas (cabinet de conseil en éducation à l’étranger, qui a son siège à Mohali, dans l’État du Pendjab).

Conséquence de ces difficultés, Abhishek Kumar, étudiant en première année à la faculté de Kharkiv, raconte que quatre de ses amis ont abandonné la médecine. D’autres ont décidé de recommencer leur première année dans d’autres pays. Kumar est chez lui à Patna et attend que la Cour suprême légifère sur les admissions des étudiants en Ukraine dans les établissements indiens.

“Puisque le gouvernement indien n’autorise pas notre transfert dans les établissements indiens, j’envisage de passer le concours de médecine national l’année prochaine”, annonce-t-il. Ce qui lui fera perdre deux ans.

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