Niger : à Zinder, les murs parlent aux passants , Jeune Afrique


Niger : à Zinder, les murs parlent aux passants

Siège du palais du sultan du Damagaram, le quartier fortifié de Birni, construit autour d’énormes massifs granitiques, reste un monde à part. Marcher dans le centre ancien – et toujours bien vivant – de Zinder donne l’impression de déambuler dans un musée à ciel ouvert, où le dédale des rues par endroits sableuses rappelle que le désert n’est pas loin.

Autour du palais du sultanat de Damagaram, lui-même richement décoré, certaines façades sont encore ornées de dizaines de symboles géométriques aux couleurs primaires – jaune, bleu, rouge –, verts ou blancs. Beaucoup ont été effacés ou abîmés par les intempéries, mais d’autres semblent avoir été récemment repeints, replâtrés ou restaurés. « Le blanc symbolise les qualités du clan, ainsi que la joie. Le rouge représente le pouvoir mystique, le vert l’islam, et le jaune évoque le pouvoir politique, la royauté, c’est une couleur rare et chère », précise Moussa Garba, économiste et spécialiste des Haoussas.

Marques d’identité et d’influence

À l’origine, les quartiers d’habitation s’appelaient zangṑ, ou zongṑ, terme haoussa qui désigne toute construction provisoire ou campement de nouveaux venus. Avec l’arrivée de marchands et de savants wangarawa, à partir du milieu du XVIe siècle, l’islam s’est imposé chez les Haoussas et, au fil des siècles, ils se sont sédentarisés et concentrés dans les villes, tout particulièrement à Zinder, carrefour commerçant entre Sahara et Sahel, qui abritait de nombreux artisans travaillant le fer, le cuivre et la laine (teinture et tissage).

À une centaine de kilomètres de la frontière avec le Nigeria, la cité est depuis restée un grand marché, longtemps dirigé par les Haoussas, qui se sont enrichis du commerce du sel de Bilma, des graines de kola, des bijoux sénégalais et soudanais, etc.

On identifie mieux l’homme quand on regarde la façon dont sa maison est décorée

L’architecture haoussa se compose traditionnellement d’une structure à deux étages constituée de murs en adobe, de petites briquettes d’argile et de paille séchées. La plupart de ces constructions ont peu de fenêtres, parfois juste une porte principale, cernée de décorations – et plus une personne est aisée, plus l’entrée de sa maison est grande. Autrefois, l’ornement d’une maison haoussa montrait l’opulence, la richesse de la famille, attestant que ses propriétaires – principalement des commerçants, des chefs religieux ou des marabouts – possédaient un certain niveau de vie. Plus cette villa était couverte de symboles, plus elle prenait de la valeur.

Façade d’une maison haoussa dans le centre ancien de Zinder. © Roland/CreativeCommons

Façade d’une maison haoussa dans le centre ancien de Zinder. © Roland/CreativeCommons

« Ces ornementations sont uniques en Afrique. Les symboles sont des signes parfois secrets, propres à la famille. Ce sont d’abord des marques d’identité : on identifie mieux l’homme quand on regarde la façon dont sa maison est décorée, explique Moussa Garba… Une autre raison majeure est que les Haoussas aiment impressionner les visiteurs. »

Messages et mystères

Au milieu du XXe siècle, les symboles tels que le sabre, le serpent, l’étoile ou le croissant ornaient encore la plupart des murs des villes du sud du Niger. Le dagin arewa (« sceau du Nord ») est le symbole le plus répandu, la marque de fabrique du peuple haoussa. « Il y a une dimension magique et internationale dans la culture haoussa, qui aurait plus de 9 000 ans, explique le journaliste Salissou Issa, spécialiste du sujet. C’est donc un très vieil héritage, qui serait venu du Yemen, en transitant par l’Égypte, et s’est imposé comme une langue et une culture de tout premier plan dans la sous-région. Le premier journal en haoussa, Gaskiya Taxi Kwabo (« La Vérité vaut plus que l’argent »), date de 1930. »

Aujourd’hui, on retrouve ces symboles un peu partout à Zinder, ainsi que, parfois, certaines lettres de l’alphabet haoussa. Réalisés et conçus par des artisans – essentiellement haoussas –, ces décors portent un message social, religieux, économique ou politique. « Ces messages sur les maisons sont apparus très tôt, peut-être même dès l’apparition des premiers royaumes haoussas [au XIe siècle, NDLR]. La maison traditionnelle pouvait contenir toutes les branches de la famille, chaque enfant possédant une partie ou un étage. Autrefois, les Haoussas croyaient au soleil, aux esprits : c’était le magizanci… Les symboles peuvent attester de cette étrangeté », ajoute Moussa Garba.

La persistance d’un style

En 2005, de nombreuses villas en mauvais état du centre de Zinder ont été restaurées, dans le cadre d’un programme du ministère nigérien de la Culture. L’années suivante, le district de Birni et le palais du sultanat du Damagaram ont été ajoutés sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco.

Les Haoussas aiment impressionner les visiteurs

À Zinder, comme un peu partout au Niger ou au Nigeria, la tradition haoussa n’a pas totalement disparu et a évolué… Si, pendant longtemps, ces constructions en terre argileuse, avec leurs ornementations, n’étaient qu’une architecture de luxe réservée aux chefs et aux notables, depuis les années 1970, l’usage du ciment a vu apparaître, ici et là, des décorations haoussa sur des murs de crépi.

Aujourd’hui, les Haoussas sont l’un des plus grands groupes ethniques d’Afrique de l’Ouest, avec une population de plus de 30 millions de personnes, principalement établies au Nigeria (plus de 20 % de la population) et au Niger (environ 55 % de la population), où leur influence linguistique et culturelle irradie. Au Niger, on les trouve désormais dispersés aux quatre coins du pays et dans les principales grandes agglomérations.

Sans surprise, les façades décorées sont apparues dans d’autres villes, y compris dans la capitale, Niamey. Et même si la maison moderne, avec garage et climatisation, est devenue le nouveau symbole d’un statut social privilégié, l’ornementation des façades revient en force. Chacun veut marquer la société de son empreinte, car, comme le dit le proverbe haoussa : « Mai ɗaki chi ya san inda ke michi ruwa » (« Il n’y a que le propriétaire pour décrire sa maison »).

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