La fugue des musiciennes ukrainiennes en France

La fugue des musiciennes ukrainiennes en France

La première note d’espoir ? Un message venu de Dijon, le 28 février, quatre jours après le déclenchement des hostilités russes contre son pays, l’Ukraine. Lorsqu’elle le reçoit, Anna Stavychenko, directrice déléguée de l’Orchestre symphonique de Kiev, a tout juste franchi la frontière polonaise après une nuit de terreur dans un train menacé par des chars russes.

L’Orchestre de Dijon, « le plus petit orchestre permanent de France », selon sa directrice, Floriane Cottet, lui propose d’accueillir quelques-uns de ses musiciens fuyant les bombardements. « J’avais lu le portrait d’Anna dans un magazine musical allemand, retrace Mme Cottet. Je me suis identifiée à cette jeune dirigeante d’orchestre, de la même génération Erasmus que moi. Comment réagit-on dans une situation pareille ? » Son homologue ukrainienne lui répond sur-le-champ, reconnaissante. Mais quitter le pays est compliqué, explique-t-elle. « Elle ajoute qu’elle aura plaisir à organiser un événement avec nous dès que l’Ukraine aura gagné la guerre », se remémore la patronne de l’orchestre bourguignon, encore impressionnée.

Une poignée de jours après l’invasion de son pays, Anna Stavychenko mène déjà sa propre guerre, sur le front culturel, contactant les grands orchestres d’Europe afin de promouvoir les compositeurs ukrainiens. Aussi loin que remontent ses souvenirs, l’élégante trentenaire, violoniste de formation, a été de tous les combats en faveur de l’indépendance. Quand ses boucles dessinent l’ovale d’un visage lumineux, son regard vire au noir à l’évocation de la Russie. « Ce pays qui a déjà décimé ma famille pendant l’Holodomor, la famine provoquée par Staline. »

Tous les étages de la Philharmonie

Lorsqu’elle s’adresse à la Philharmonie de Paris, la réponse dépasse ses attentes. L’orchestre français n’entend pas se contenter du répertoire ukrainien, il souhaite permettre aux musiciens d’exercer de nouveau leur art, et d’en vivre. Son directeur général, Olivier Mantei, vient de passer un coup de fil à une consœur de Kiev, à la tête de l’opéra : « Elle était un peu perdue, à la frontière polonaise, cherchant un train avec ses deux enfants. Je n’ai pas osé lui dire que nous projetions le drapeau ukrainien sur la façade de la Philharmonie et que nous jouions leur hymne. Quel décalage ! Il fallait moins de postures, un soutien plus ancré dans la réalité des musiciens. »

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Alors le 31 mars, il embauche Anna Stavychenko pour piloter l’accueil de musiciennes issues de différents ensembles ukrainiens, que l’exil a disséminées en Europe – les hommes, mobilisés, doivent demeurer au pays. Anna dresse des listes, localise, organise de périlleuses traversées de frontières qui la privent de sommeil, jusqu’au SMS rassurant. Sous la houlette de Sarah Koné, chargée des projets sociétaux, l’opération mobilise tous les étages de la Philharmonie. Allegro, presto, orchestrer l’artistique et le prosaïque, penser intégration aux pupitres autant que trains, avions, hébergements, autorisations provisoires de séjour, comptes bancaires, écoles et poussettes des enfants… Quatre premières violonistes débarquent de Kiev, en avril, avec une violoncelliste d’Odessa.

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