Festifous, le festival qui promeut le livre et la lecture

Festifous, le festival qui promeut le livre et la lecture

Initiée par l’association des Fous du livre, fondée en 2017 par l’éditrice et chroniqueuse littéraire Maris Bertille Mawem, et soutenu par le ministère camerounais des Arts et de la Culture, le festival international « La semaine des fous du livre » se présente comme l’apothéose d’une série de manifestations qui se sont déroulées tout au long de cette année, à Yaoundé, mais aussi dans d’autres villes de l’est du pays, du centre et du littoral.

Décloisonner les regards

Durant quatre jours, à travers des conférences, des débats et des séances de dédicaces, les auteurs et autrices locaux, mais aussi venus du Congo Brazzaville, du Tchad, du Sénégal, de Côte d’Ivoire et même de France, vont aller à la rencontre du public. Sur le magnifique site du musée national du Cameroun, le festival propose également un village d’expositions, le concours littéraire « Le livre te cherche », le concours de dictée inter-établissements scolaires, du slam, du théâtre, des concerts… Pour l’écrivaine camerounaise Nadine Nkengue, autrice notamment du roman intitulé Une vie d’étudiant, paru en 2016, aux éditions Proximité, ce qui fait la particularité de ce festival c’est « un brassage riche d’expériences, de rencontres de l’autre, de sa culture, de sa différence. » Et elle ajoute : « Entrer dans l’univers littéraire de l’autre, comme aller à la découverte d’une île mystérieuse. On a dans le cœur et les yeux, l’espoir de tomber sur des trésors fabuleux. On peut en sortir aussi avec beaucoup de déceptions. Mais c’est justement tout le suspense de la découverte. On en retient toujours une grande leçon. »

La présidente de l'association des Fous du livre, Marie Bertille Mawem, lors de la cérémonie d'ouverture du festival des Fous du livre, à Yaoundé, au Cameroun, le 7 décembre 2022.

L’autre ambition de ce festival, c’est de décloisonner les regards, tout en contribuant au développement de la diffusion et la distribution du livre. Et sur ce plan, le journaliste camerounais Martial Ebenezer Nguea précise : « Que seraient les auteurs et autrices si leurs messages n’étaient destinés qu’à une petite partie de la population ? Il faut démocratiser l’accès à la lecture. Et ce festival y contribue à sa manière. La jeunesse est un maillon essentiel de cette politique. Car une jeunesse qui lit, c’est non seulement une jeunesse qui s’informe, mais aussi qui s’éduque. Et à terme, c’est potentiellement une véritable pépinière de penseurs et d’auteurs qui peut ainsi se mettre en place. »
Justement, au Cameroun, comme dans d’autres régions d’Afrique centrale, l’accès au livre et à la lecture est fonction de différents critères socio-économiques.

D’après un rapport du BIEF, le Bureau international de l’édition française, publié en avril 2021 et consacré au marché du livre en français en Afrique centrale, au Cameroun, pays où le français et l’anglais sont langues officielles, l’on compte environ 80% de francophones et 20% d’anglophones. Ce même rapport précise que selon les chiffres de l’OIF, l’Organisation internationale de la francophonie, le taux de personnes sachant lire et écrire le français est de 41% au Cameroun – le pays compte actuellement plus de 27 millions d’habitants.

Un état des lieux

Au Cameroun, comme dans l’ensemble de l’Afrique centrale, les études nationales sur le livre et la lecture sont très rares. À l’instar du rapport du BIEF cité précédemment, et dont les données ont été recueillies entre 2019 et 2020 (avant l’épidémie de Covid), auprès des professionnels du livre, la plupart des données documentées sur le livre et les pratiques de lecture camerounaises sont réalisées par des institutions internationales ou des chercheurs. Dans une étude consacrée aux adolescents et la lecture, à Yaoundé, la capitale camerounaise, menée en 2014 par Louise Lutéine Balock, pour le compte de la Fédération internationale des associations de bibliothécaires, l’auteure écrit : « Les adolescents ne lisent pas assez au Cameroun, tel est le constat souvent effectué par les professionnels du livre et des bibliothèques. Pour expliquer cette situation, on a souvent évoqué l’appartenance à une culture l’oralité. Mais l’observation et l’analyse attentive de cette absence d’intérêt pour la lecture ne serait-elle pas due à une absence de structures de médiation en l’occurrence les bibliothèques pouvant satisfaire leurs besoins ? »

A l'arrière plan, jeunes élèves en uniformes de leurs établissements d'enseignement secondaire, venus assiter à la cérémonie d'ouverture du festival des Fous du livre, à Yaoundé, au Cameroun, le 7 décembre 2022.

Dans une tribune publiée en août 2019 dans le quotidien français Le Monde, Roseline Tekeu, de l’Agence des Etats-Unis pour le développement international, écrit : « En Afrique subsaharienne, lire est un luxe. Sinon, comment expliquer que 92 % des enfants qui achèvent leur cycle primaire ne savent pas vraiment lire et écrire ? Pour avoir passé ma jeunesse dans la ville de Douala, au Cameroun, cet état de fait est loin de me surprendre. En effet, ma génération n’a bénéficié d’aucune bibliothèque publique. Seule l’Alliance française nous permettait d’assouvir notre passion pour la lecture. » 

Parmi les solutions mises en place par le gouvernement camerounais, il y a notamment la création de bibliothèques scolaires dans les lycées et collèges. Dans le privé, l’Etat subventionne en principe les activités périscolaires. Il y a aussi, en théorie, le salon international du livre de Yaoundé. Cette rencontre biennale initiée par le ministère camerounais des Arts et de la Culture, a notamment pour objectif la promotion de la lecture au Cameroun.  

Mais le festival des fous du livre, comme tous les autres événements littéraires, ne peuvent contribuer à promouvoir le livre et la lecture que s’ils sont accompagnés par les acteurs de la chaîne du livre tels que les diffuseurs, les distributeurs et les éditeurs qui font un travail sérieux. Ces acteurs de la chaîne du livre doivent donc être contactés à l’avance, afin qu’ils s’organisent pour être partie prenante sans être forcément des partenaires économiques.

Selon Raphaël Thierry, agent littéraire et spécialiste du paysage éditorial africain : « Par ailleurs, il faut des programmes d’invitation sérieux des auteurs, et qui valorisent les éditeurs et leurs partenaires. Le but c’est d’être un projet qui a des financements, et qui met dans la boucle des personnes qui vont pouvoir bénéficier de ces financements, tout en valorisant le contenu du festival mais avec une programmation qui est carrée, et où ce ne sont pas les partenaires qui apportent le contenu. »

Accès au livre et apprentissage de la lecture

S’agissant de la distribution et de la commercialisation du livre, le rapport du BIEF nous apprend qu’il existe des prix recommandés par l’éditeur au Congo, en RDC, au Tchad ou encore au Gabon, il n’en est pas de même au Cameroun. En dehors du livre scolaire, libraires et éditeurs camerounais ont essentiellement recours au contrat de dépôt-vente pour les livres produits localement.

Le prix défini par l’éditeur constitue donc la base sur laquelle se rémunère le libraire. Et toujours d’après le BIEF, le prix moyen du livre produit localement au Cameroun, se situe entre 5 et 15 euros (soit environ 3280 FCFA et 9840 FCFA). Dans un pays où le revenu moyen par habitant se situait en 2019, selon les données de la Banque mondiale, à 125 dollars US, soit 78312,50 FCFA, le coût du livre peut encore apparaître prohibitif.

Jeunes élèves en uniformes de leurs établissements d'enseignement secondaire, venus assiter à la cérémonie d'ouverture du festival des Fous du livre, à Yaoundé, au Cameroun, le 7 décembre 2022.

L’accès au livre reste donc difficile pour une partie de la population camerounaise. D’autant que peu d’établissements scolaires et universitaires disposent de bibliothèques et de médiathèques. Il en est de même pour les municipalités. « Seuls les centres culturels de la coopération, par exemple, souligne notre confrère Martial Ebenezer Nguea, continuent d’offrir véritablement des moyens d’accès au livre, avec des animations autour de la lecture. Malheureusement, tout le monde ne peut y accéder. » Un constat que ne partage pas Raphaël Thierry, agent littéraire et spécialiste du paysage éditorial africain.

« Le livre qui coûte cher, précise Raphaël Thierry, il faut arrêter de commencer en posant cette question. Il y a énormément d’éditeurs qui sortent aujourd’hui des livres à 3500 FCFA, parfois moins. Et ce n’est certainement pas quelque chose qui valorise les éditeurs qui font en sorte d’avoir des livres à des prix abordables. Je me permets de dire que cette question n’a pas de sens aujourd’hui. Elle est presque anachronique. Elle dénote même de la mauvaise connaissance de la diversité éditoriale en Afrique francophone. »

De nombreuses initiatives de promotion du livre et de la lecture existent également au sein de la société civile. L’une des dernières concerne la « Solar Book Box », la boîte à livres solaire en français. La phase pilote de ce projet social de l’association Open Education, est mise en œuvre tous les week-ends au quartier Ndobo, dans le 4ème arrondissement de Douala, la capitale économique camerounaise.

Le principe de fonctionnement de cette boîte en bois, dont il n’existe qu’un exemplaire pour le moment, est relativement simple : la plaque solaire intégrée à la boîte emmagasine l’énergie solaire dans la journée, puis, à la nuit tombée, elle restitue cette énergie avec une autonomie de six à sept heures. L’objectif auprès des petits et des grands : cultiver l’amour de la lecture, rendre accessible le livre scolaire pour les populations défavorisées, tout en palliant le manque d’électricité pour les lecteurs.   
 

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