Guerre en Ukraine : pourquoi la France livre si peu d’armes à Kiev

Guerre en Ukraine : pourquoi la France livre si peu d’armes à Kiev

Avec minutie, depuis l’invasion russe du 24 février, les chercheurs du groupe de réflexion allemand Kiel Institute évaluent l’aide militaire fournie à l’Ukraine. Le classement qu’ils en tirent est loin d’être à l’avantage de la France. Celle-ci a beau disposer de l’une des armées les plus puissantes d’Europe occidentale – plus grand effectif et deuxième budget derrière l’armée britannique -, elle ne pointait, en octobre, qu’au 13e rang financier (216 millions d’euros). Loin derrière le trio de tête, formé des Etats-Unis (27,6 milliards), du Royaume-Uni (3,7 milliards) et de la Pologne (1,8 milliard, essentiellement pour du matériel d’origine soviétique). 

Pourquoi une telle différence ? Au cours des dernières années, la France a eu tendance à se débarrasser très rapidement des équipements sortis du service, afin de ne plus avoir à financer leur maintenance, là où d’autres Etats ont conservé ces matériels plus longtemps. C’est ce que révèle une nouvelle étude de l’Institut français des relations internationales (Ifri), « Stocks, l’assurance vie en haute intensité ». Résultat, la marge de manoeuvre de Paris pour fournir de l’armement à Kiev est plus faible que d’autres.  

Le cas des blindés antiaériens Gepard livrés par l’Allemagne illustre cette différence. Ceux-ci végétaient depuis bientôt une décennie avant d’être reconditionnés et livrés à Kiev. L’Ifri estime que la France aurait pu faire de même avec ses AMX-10P, des véhicules d’infanterie munis d’un canon, définitivement retirés du service il y a seulement sept ans. Mais ceux-ci « semblent avoir intégralement disparu des inventaires », « y compris une centaine d’exemplaires modernisés » entre 2006 et 2008 et qui auraient pu « être transférés à l’Ukraine ». 

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Les stocks « ont globalement disparu entre 2007 et 2016 », constate le groupe de réflexion, démantelés ou revendus. La fin de la guerre froide, la suppression du service militaire obligatoire et les réformes budgétaires successives ont mené les forces armées françaises à mener des cures d’amincissement, dès les années 1990. Mais c’est surtout après la crise financière de 2008 que le ministère a dû faire des économies à tout prix, jusqu’à fermer ses réserves. « Contraintes à un arbitrage difficile, les armées ont logiquement privilégié la préservation des capacités existantes au détriment de politiques de stockage prudentielles, même modérément coûteuses en ressources humaines et financières. » 

Des armées « à l’os »

Résultat, les armées sont aujourd’hui « à l’os ». « Nous avons pris sur nos stocks d’emploi et non sur des réserves pour répondre rapidement aux besoins ukrainiens », a récemment reconnu le général Thierry Burkhard, chef d’état-major des armées françaises. Elles ne disposent plus que de 58 canons Caesar sur les 76 dont elle disposait. Pour les munitions, c’est pire. Un rapport parlementaire a récemment révélé que « les contrats actuels permettent de financer 6000 coups par an, voire 9000 coups au maximum », soit à peine 25 par jour…  

Un militaire de l'US Airforce supervise des palettes de munitions, d'armes et d'équipements divers à destination de l'Ukraine, à la Dover Air Force Base dans le Delaware, le 21 janvier 2022.

Un militaire de l’US Airforce supervise des palettes de munitions, d’armes et d’équipements divers à destination de l’Ukraine, à la Dover Air Force Base dans le Delaware, le 21 janvier 2022.

afp.com/Handout

Les experts estiment que la France serait à court d’obus, de roquettes et de missiles au bout de deux semaines d’un conflit de l’intensité de celui en Ukraine, où l’artillerie joue un rôle majeur. Conscient du problème, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a annoncé que 2 milliards d’euros seraient consacrés aux munitions en 2023 (un tiers de plus qu’en 2022). Et le besoin de quantité – de « masse » – ne touchant pas seulement les équipements, il s’est aussi donné l’objectif d’atteindre les 100 000 réservistes dans les armées, contre 41 000 actuellement. 

Pour mieux faire face à des combats de haute intensité, plusieurs solutions existent. « On peut déjà améliorer la maintenance du matériel en service pour augmenter leur taux de disponibilité (à peine 35% des hélicoptères Tigre en 2021 et 61% des véhicules VBCI), fait valoir Léo Péria-Peigné, auteur de l’étude. Il faudrait aussi rehausser les stocks de munitions et de matériels de l’ensemble des forces pour faire face aux destructions engendrées par une guerre ou une évolution imprévue. A l’image d’une assurance, conserver des stocks peut sembler inutile en temps de paix, mais ils s’avèrent indispensables en temps de conflit, que ce soit pour notre propre usage, ou pour soutenir un allié en difficulté. » 

Pour cela, il faudra plus de moyens et la poursuite de l’effort budgétaire initié en 2017 par Emmanuel Macron pour la défense. La loi de programmation militaire 2024-2030 est actuellement en préparation. L’état-major réclame 430 milliards d’euros, alors que les services du budget envisagent plutôt 370 milliards. Si Bercy a gain de cause, la question des stocks, pourtant stratégique, pourrait rester encore quelques années sans réponse satisfaisante. 


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