ENTRETIEN. « Plus décarbonée, la France aurait été mieux préparée à tous ces chocs »

ENTRETIEN. « Plus décarbonée, la France aurait été mieux préparée à tous ces chocs »

Et si la France faisait fausse route. Dans un cadre budgétaire contraint, les ressources publiques ne sont sans doute pas investies là où il faudrait. Patrice Geoffron, professeur d’économie à l’université de Paris Dauphine, explique que la ristourne carburants aurait pu être affectée aux ménages les plus modestes pour leur permettre d’acheter un véhicule moins polluant et plus sobre. Il pointe aussi le manque d’anticipation. « Il est permis d’imaginer que, plus décarbonée, la France aurait été mieux préparée à tous ces chocs et que la dette publique n’aurait pas progressé de 1 000 milliards en 10 ans », rappelle-t-il.

Les ristournes sur les carburants mises en place par le gouvernement étaient nécessaires ?

Il aurait été préférable de d’agir autrement. Cette ristourne a coûté 7,5 milliards d’€ aux finances publiques. Avec ce budget, on aurait pu aider 750 000 ménages à acheter un véhicule moins consommateur d’énergie en donnant une prime de 10 000 €. La ristourne n’a pas apporté de solution pérenne, ni au niveau économique, ni au niveau environnemental : par comparaison, développer des RER dans les 10 grandes métropoles coûtera une dizaine de milliards, à peine plus que la ristourne. Et nous ne sommes pas l’Allemagne, dont la dette publique pèse 45 points de PIB de moins qu’en France. C’est d’ailleurs ce qui lui permet de mettre aujourd’hui 200 milliards d’euros sur la table pour soutenir son économie.

Qu’est-ce qui vous inquiète ?

Il y a de bonnes raisons de craindre que, si l’Europe entrait en forte récession en 2023 ou au-delà, les marchés regardent la soutenabilité de la dette de l’Italie… mais aussi de la France. Aujourd’hui, on peut regretter que l’essentiel des soutiens apportés (boucliers et ristournes) se concentre sur les ménages, sans considération de revenus, avec plus de difficultés à soutenir efficacement les entreprises. Certes, l’inflation est inférieure à celle de nos voisins, mais l’industrie intensive en énergie est en stress.

La France n’a pas assez anticipé dites-vous ?

Imaginez qu’on ait investi une centaine de milliards de plus, depuis le début de siècle, dans les technologies « bas carbone » déjà performantes, avec plus d’isolation dans les logements, plus de transports publics, entre autres pistes. On aurait évidemment abordé la crise énergétique actuelle, mais également la crise des « gilets jaunes », avec plus de solutions de transports en commun, moins de cuves à fioul à la maison, moins de passoires thermiques… Et sans doute aurions-nous économisé massivement l’argent public qu’il faut dégager dans l’urgence, systématiquement, face à ces chocs.

Investir dans la décarbonation, c’est rentable ?

Ce n’est pas uniquement une action pour préserver le climat : la décarbonation est une protection collective. La pollution de l’air coûte de l’ordre de 50 milliards d’euros par an en France et est à l’origine de 40 000 morts. Et cette pollution a aussi été un facteur de surmortalité lors du Covid (avec une pression au « quoi qu’il en coûte »). Bref, il est permis d’imaginer que, plus décarbonée, la France aurait été mieux préparée à tous ces chocs et que la dette publique n’aurait pas progressé de 1 000 milliards en 10 ans…

Patrice Geoffron professeur à l’université de Paris Dauphine. | DR

Est-ce que les ambitions climatiques de l’Europe vont fragiliser son économie ?

Cette crise énergétique nous révèle que nous n’avons pas le choix : importer des énergies fossiles va, durablement, nous coûter plus cher, et nous sommes même sous la menace de pénuries. Nous sommes sur un Vieux Continent, qui a été le premier à émerger au XIXe siècle, et qui a brûlé l’essentiel de ses ressources fossiles. Donc, avancer au plus vite dans la voie définie par l’Union européenne (-55 % d’émissions en 2030) est notre seule issue. À cet horizon, nous pouvons espérer être moins fragiles, et même être attractifs pour les entreprises qui, au niveau mondial, rechercheront à accéder aux marchés les plus avancés dans la décarbonation (et dont l’électricité, le transport et même le gaz seront plus verts). Et c’est l’Europe qui offrira les meilleures garanties, plus que toute autre zone du monde, y compris les États-Unis. Mais, d’ici là, les temps seront durs, avec un premier test cet hiver.

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