Cameroun : des diplomates américains exigent la libération de Marafa Hamidou Yaya

En juin dernier, le gouvernement britannique a décidé d’extrader Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, vers les États-Unis afin qu’il y soit poursuivi pour avoir diffusé, en 2010, des centaines de milliers de documents confidentiels volés au gouvernement américain. Cette décision rapproche un peu plus l’intéressé de la reddition des comptes. Assange fera sans nul doute appel de cette décision. Je souhaite vivement qu’il perde de nouveau et qu’il comparaisse bientôt devant un tribunal américain.

Robin des Bois, une fiction

Le monde verrait – et mesurerait peut-être alors – l’ampleur des dégâts que ses agissements criminels ont infligé aux amis et alliés des États-Unis. Son procès pourrait également mettre fin à la fiction remarquablement entretenue selon laquelle les actes d’Assange n’ont causé de tort à personne, qu’ils étaient courageux, voire dignes d’admiration.

Il est grand temps de rejeter l’idée erronée selon laquelle les agissements de cet individu – dans lequel beaucoup voient un Robin des Bois des temps modernes –, ont fait progresser la liberté de la presse ou apporté une transparence bienvenue dans la gouvernance des États. Ce n’est pas le cas. Au contraire, ils ont illégalement sapé le caractère confidentiel du partage d’informations utiles au bon fonctionnement de la diplomatie et indispensables à la promotion des intérêts de l’Amérique.

J’écris cette tribune en tant que diplomate américain à la retraite, dont les rapports et notes d’ambassade, comme ceux de mes nombreux collègues, ont été compromis, il y a plus de dix ans, par la publication infâme de ces documents volés.

Nul ne semble en mesure de dire combien de personnes dans le monde, parmi lesquelles de nombreux amis de l’Amérique, ont été lésées par les publications de WikiLeaks. Mais je connais au moins un cas où un honnête homme a passé plus de dix années de sa vie en prison pour des crimes présumés, jamais prouvés devant un tribunal. Cela s’est produit au Cameroun, où j’ai été ambassadeur des États-Unis entre 2004 et 2007.

Détention arbitraire

Là-bas, peu après la publication de WikiLeaks, Marafa Hamidou Yaya, diplômé de l’université du Kansas, a été emprisonné. À l’issue d’une procédure expéditive, il a été condamné à vingt-cinq années de prison pour corruption. Sans aucune preuve.

Avant son arrestation, Marafa Hamidou Yaya avait occupé plusieurs postes ministériels, notamment celui de secrétaire général de la présidence, sans doute le deuxième poste le plus important du pays. Des représentants de notre ambassade, que dirigeait alors Robert Jackson, ont assisté à son procès et l’ont dénoncé comme étant une farce. Bien qu’aucune preuve n’ait été fournie, le prévenu a été reconnu coupable de toutes les charges retenues contre lui.

Depuis, le rapport annuel du département d’État sur les droits de l’homme, qui est soumis au Congrès des États-Unis, présente M. Marafa comme un prisonnier politique. Il est incarcéré dans une prison militaire, dans une cellule humide, où la lumière du jour ne peut filtrer. Après son arrestation, celle qui fut sa fidèle secrétaire pendant une vingtaine d’années a été sauvagement assassinée à son domicile. Quant à son épouse, elle est morte sans avoir pu lui rendre visite ne serait-ce qu’une seule fois.

Les Nations unies ont officiellement déclaré que la détention de M. Marafa était arbitraire et ont exigé sa libération immédiate, ainsi qu’une indemnisation pour les dommages qu’il a subis. Cette requête n’a pas abouti, tout comme celle présentée, à plusieurs reprises, par l’ancien ministre lui-même pour raisons de santé.

Candidature à la présidentielle

Sept anciens ambassadeurs des États-Unis au Cameroun (Frances Cook, Harriet Isom, Charles Twining, John Yates, George Staples, Janet Garvey et Robert Jackson), qui connaissent et respectent M. Marafa, ont écrit avec moi aux administrations américaines successives pour leur demander de nous aider à obtenir sa libération. En vain.

L’administration Biden est pleinement consciente de cette situation, mais, à ma connaissance, elle n’a pris aucune mesure énergique en ce sens. Or, la santé du prisonnier s’étant considérablement détériorée au cours de ses dix années de prison, il est de plus en plus urgent d’agir. Cet homme âgé a survécu au Covid-19 (dont il n’est pas vacciné) l’année dernière. Devenu presque complètement aveugle, il souffre d’un grave problème cardiaque et a absolument besoin d’un traitement qui n’est pas disponible au Cameroun.

Récemment, le Comité des droits de l’homme des Nations unies a écrit à de nombreuses reprises au gouvernement camerounais, lui enjoignant « de fournir à M. Marafa un accès immédiat à des soins médicaux adéquats, indispensables pour préserver sa vue ». Jusqu’à présent, cet appel n’a pas été entendu. M. Marafa a pourtant répété qu’il accepterait de partir en exil pour pouvoir se soigner, renonçant implicitement à tout rôle politique futur dans son pays.

Sudistes contre Nordistes ?

M. Marafa a été accusé de corruption. Mais son seul véritable crime est de m’avoir dit, en toute confidentialité en 2006, qu’il « pourrait être intéressé » par une éventuelle candidature à la présidence du Cameroun, dans l’éventualité où Paul Biya quitterait ses fonctions. La section politique de mon ambassade, que dirigeait habilement Katherine Brucker, actuelle cheffe de mission adjointe à Ottawa, avait naturellement rapporté cette information à Washington, dans un câble évoquant les scénarios possibles de la succession Biya. Lorsque ce câble a été publié par WikiLeaks, en 2010, cette confidence de M. Marafa a immédiatement fait la une des journaux camerounais. Cela a conduit directement à son arrestation, puis à son procès-spectacle l’année suivante.

Au Cameroun, où le quasi-nonagénaire Biya vient de fêter ses quarante années au pouvoir, la succession du président est un sujet si sensible que la simple évocation, par M. Marafa, de ses éventuelles ambitions a ébranlé le délicat équilibre tribal et politique du pays. De toute évidence, la coterie de M. Biya, composée essentiellement de chrétiens du Sud appartenant à la tribu Beti, s’est sentie menacée à la perspective de voir M. Marafa devenir président, au point qu’elle a décidé de le mettre définitivement sur la touche et qu’elle a manipulé le système judiciaire du pays à cette fin.

M. Marafa est un musulman du Nord, comme l’était Ahmadou Ahidjo, le seul autre président du pays depuis l’indépendance. Après avoir été pendant quarante ans les privilégiés du système, rien ne dérangerait davantage les « sudistes » que l’idée qu’un « nordiste » reprenne le pouvoir.

Confidences trahies

La publication de WikiLeaks s’est produite sous l’administration Obama-Biden. De nombreux responsables de l’administration actuelle occupaient des postes de haut niveau à l’époque. Ils sont donc parfaitement au courant de l’injustice que constitue l’incarcération de M. Marafa. Il n’est donc pas nécessaire de leur rappeler qu’il est de la responsabilité de notre gouvernement de protéger ceux qui ont pâti de la fuite massive de confidences qui avaient été partagées avec nous en toute bonne foi.

Ces responsables n’ont pourtant pas pris de mesures et n’ont même pas eu la curiosité de chercher à savoir combien d’autres « cas Marafa » existent de par le monde. Lorsque j’ai demandé au Bureau of Intelligence and Research (INR) de m’aider à rassembler les faits relatifs à cette affaire, il a décliné au motif que WikiLeaks n’était « pas une question relevant du renseignement ».

Je continue de croire que la décence élémentaire, la loyauté et le fair-play obligent les États-Unis à suivre de près le cas Marafa et des affaires similaires jusqu’à ce que justice soit réellement rendue. Non seulement ce serait la bonne chose à faire, mais cela montrerait à nos amis et collaborateurs du monde entier – y compris à ceux qui ont été affectés par WikiLeaks au point qu’ils ne veulent plus parler aux diplomates américains – que, même après avoir laissé se produire un événement aussi stupidement tragique, l’Amérique se montre à la hauteur de ses responsabilités.

En outre, je crains que les États-Unis soient en train de perdre la bataille de l’opinion mondiale sur cette affaire de WikiLeaks. Avec l’extradition d’Assange et les poursuites judiciaires qui l’attendent, le moment est venu d’expliquer pourquoi cette affaire est importante et pourquoi nous la prenons autant au sérieux. Les arguments spécieux selon lesquels Assange est un journaliste qui défend la liberté de la presse et la transparence trouvent malheureusement un écho auprès d’un trop grand nombre de citoyens, dont peu ont une idée du tort qui a été causé à Marafa. D’autres amis qui avaient fait confiance aux États-Unis ont connu un sort similaire, voire pire. Qui raconte leur histoire ? Si nous ne redoublons pas d’efforts pour expliquer tout cela, les États-Unis apparaîtront une fois de plus comme un pays tyran, qui dépasse les bornes.

Traitement médical

Si le vol et la divulgation, par WikiLeaks, de secrets gouvernementaux justifient l’extradition de Julian Assange et de le poursuivre en justice plus de dix ans après les faits, ne devrions-nous pas nous préoccuper des victimes de ce crime et prendre des mesures pour remédier à des situations telles que celle que vit M. Marafa ?

Pendant ce temps, Paul Biya dirige un Cameroun vacillant et sénescent, réprimant de manière incompétente et dans le sang la sécession anglophone, laissant Boko Haram franchir ses frontières de manière largement incontrôlée, et continuant à présider un pays richement doté qui, sous son règne, est loin d’avoir profiter de son extraordinaire potentiel.

Nul ne sait ce qu’il se passera lorsqu’il quittera enfin la scène, mais beaucoup redoutent que la transition s’accompagne d’une période de violence généralisée. Quelle occasion manquée qu’une personnalité aussi compétente que M. Marafa, qui a été éduqué aux États-Unis, ne figure plus parmi les solutions possibles au drame politique qui se profile au Cameroun !

Reste la possibilité qu’il soit libéré afin de pouvoir suivre un traitement médical en exil, et qu’il puisse ainsi vivre ses derniers jours dans la dignité et la liberté. Nous devons faire pression en faveur de cette issue, en faisant clairement savoir que le gouvernement américain le soutient et reconnaît sa responsabilité directe dans sa situation actuelle.

Il n’est pas trop tard

Voici deux choses que les lecteurs du Foreign service Journal peuvent faire pour nous aider. Premièrement, écrire à leurs représentants au Congrès, en particulier s’ils siègent à la Commission des relations extérieures du Sénat ou à la Commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants, pour demander au département d’État et à la Maison-Blanche d’agir pour obtenir la libération de M. Marafa. Une forte expression de l’intérêt du Congrès pourrait aider le département d’État à trouver le courage qui lui fait défaut pour s’occuper de cette affaire (et n’hésitez pas à m’envoyer un courriel à nielsm@lclark.edu pour obtenir un modèle de message qui puisse facilement être collé dans un courriel adressé à votre sénateur).

Deuxièmement, si un lecteur a connaissance d’autres amis des États-Unis qui ont été affectés négativement par les révélations de WikiLeaks et qui ont besoin de l’attention de notre gouvernement, qu’il m’envoie ces informations par courriel. Je les partagerai avec l’INR, qui est, selon moi, la structure la mieux appropriée pour compiler l’ensemble des informations portant sur les effets néfastes de WikiLeaks.

Nos gouvernements successifs ont fait preuve de courte-vue et ont réagi de manière inadéquate. Notre incapacité à défendre vigoureusement les victimes de WikiLeaks durant la décennie écoulée est quasi-honteuse. Il n’est cependant pas trop tard pour que nous corrigions le tir. Pour cela, nous devons être plus nombreux à nous exprimer. Aidez-nous à le faire.

 

 

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