« En 1982, France-Brésil aurait été la finale … / Culture Foot / Documentaire / SOFOOT.com

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Le documentaire Les Beaux Perdants, réalisé par Hervé Mathoux avec Stéphane Darmani et Mickey Mahut, est diffusé sur Canal + ce samedi soir, à la veille du coup d’envoi de la Coupe du monde au Qatar. Il revient sur le Mondial 1982, avec les acteurs de l’époque, et met en avant les défaites du beau et des gentils à travers les sorts du Brésil et de la France.


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Tu étais où, le 8 juillet 1982, date de France-RFA ?
Je n’avais pas tout à fait 15 ans et nous étions en vacances en famille, dans une maison de location au Cap d’Agde. Je me rappelle que lorsque Giresse a marqué le but du 3-1, on a sauté tous ensemble et que le canapé s’est effondré. On est descendus de deux mètres !

Pourquoi ce titre, Les Beaux Perdants ?
Parce qu’il y a cette expression « être bon perdant » qui me trottait dans la tête. À défaut d’être bon perdant, on pouvait être beau perdant. Les Bleus de 1982, ils étaient beaux. C’était une équipe avec laquelle la France avait un rapport d’affection : même s’ils ont perdu, on ne leur en a pas voulu. Il y avait d’autres personnes auxquelles on en voulait à Séville… Il y avait du beau et du chevaleresque chez ces Bleus, même dans cette défaite. Après la remontada du Barça, les supporters du PSG étaient en colère, ils reprochaient à leurs joueurs de s’être effondrés. Pas en 1982 ! Au Brésil, c’est la même chose. En 1950, le peuple brésilien était très remonté contre sa Seleção battue par l’Uruguay. Pas en 1982 : la déception était grande, bien sûr, mais au Brésil, cette équipe bénéficie d’une cote d’amour sans doute même supérieure au Brésil champion du monde 1994 !

Comment t’est venue cette idée, justement, d’associer dans un même documentaire la défaite au Mondial 1982 du Brésil et de la France ?
C’est un peu la genèse du sujet qui remonte au moment où je réalisais mon premier documentaire, C’est pas grave d’aimer le football ! (Canal +, 2020). J’avais alors mesuré l’importance du France-Allemagne 1982, à quel point ça avait marqué les gens longtemps après, encore. Ça reste un match central dans la vie personnelle de tant de gens… En discutant avec Stéphane Darmani, notre correspondant Canal au Brésil, dans le cadre de mon reportage, il m’a dit que le Brésil-Italie était l’équivalent de notre France-RFA de Séville. Un match grandiose à Barcelone, plein de péripéties, marqué aussi par un sentiment d’injustice, mais avec aussi un rapport affectif d’un peuple pour ses perdants. Et ces deux matchs n’avaient été espacés que de trois jours ! (Le 5 juillet pour la Seleção, NDLR.) D’où l’idée du sujet, en tentant de raconter ce que ces deux défaites signifiaient, même symboliquement, pour ces deux pays d’alors : l’idée d’un football qui s’éteint ? Ou plus globalement pour une société française qui se durcissait socialement.

« En 1982, le Brésil qui, à nos yeux, exprime le fantasme du beau football, joue en plus comme on l’aime. »

On l’oublie aujourd’hui, mais que représentait l’équipe de football du Brésil en 1982 ?
Le foot absolu ! En général, le dominant est rarement aimé, on lui préfère toujours le challenger. On n’aime pas trop les leaders. L’équipe du Brésil, c’est un peu l’exception : malgré leur supériorité, tout le monde les aime. Le foot brésilien incarnait alors une liberté dans le jeu qui nous fascinait. Ça s’est lissé avec le temps, bien sûr. La génération précédente se souvenait avec nostalgie du grand Brésil de la Coupe du monde 1970, « la plus belle équipe de toutes » . En 1982, le sélectionneur Telê Santana veut redorer le blason de l’équipe avec un jeu chatoyant, joyeux, libre, extra, offensif. Et tout le monde se délecte ! Les buts inscrits lors du Brésil-URSS (2-1) et la victoire au tour suivant contre l’Argentine (3-1) : c’était l’équipe de rêve. Les Brésiliens la surnommaient « l’équipe parfaite » . La première fois que j’ai vu l’équipe du Brésil, c’était en 1977 : leur rapport au ballon sautait aux yeux, c’était incomparable ! La magie jaillissait dès leur prise de balle, un truc rare qui venait du foot de rue et qui, là, a carrément disparu. Et puis le maillot aussi, jaune éclatant, ça faisait rêver… En 1982, le Brésil qui, à nos yeux, exprime le fantasme du beau football, joue en plus comme on l’aime.

Le drame de l’élimination du Brésil à Barcelone face à l’Italie a également été d’autant plus dur à vivre qu’il était prématuré, non ?
Complètement. Même s’il ne leur restait plus que deux matchs en cas de finale. C’était une chute impossible à voir venir, surtout après le 3-1 sans bavure contre l’Argentine, championne en titre. Un nul leur suffisait pour y accéder. En face, c’était l’Italie qui avait péniblement aligné trois matchs nuls au premier tour ! Personne ne pouvait imaginer que l’Italie battrait ce Brésil. Ça a été vraiment un élan coupé, les ailes brisées… C’est pour ça qu’on est inconsolables : on est orphelins de ce qu’on aurait pu vivre.

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« À travers cette Coupe du monde, on a l’impression de vivre une bascule, des événements prémonitoires qui annoncent les années d’après avec le règne du fric, du foot-business et des puissants qui deviennent encore plus puissants et des victimes qui restent des victimes. »

Le mot « injustice » revient souvent au début du documentaire, avec, déjà, l’intervention lunaire de l’émir du Koweït qui fait annuler un but de Giresse. Mais il y avait eu aussi l’élimination injuste de l’Algérie lors de ce premier tour qui avait d’entrée rendu cette Allemagne encore plus antipathique…
Oui, à la base, l’équipe d’Allemagne n’était pas très aimée. En 1982, en France, il y avait encore cette proximité relative avec la guerre… Le match RFA-Autriche a encore plus remonté les amoureux du ballon contre cette équipe allemande. Ça ajoute à un des questionnements majeurs du documentaire : bascule-t-on alors dans un monde nouveau, plus cynique ? Est-ce vraiment la fin des Trente Glorieuses ? Est-ce la fin d’un monde ? On vit cette Coupe du monde avec ce sentiment : les injustices tournent-elles au profit des puissants ? L’Algérie est éliminée, la France subit ce but refusé contre le Koweït, pas un grand pays de football, mais très puissant financièrement en tant que grand État pétrolier, l’arbitrage scandaleux de Séville… À travers cette Coupe du monde, on a l’impression de vivre une bascule, des événements prémonitoires qui annoncent les années d’après avec le règne du fric, du foot-business et des puissants qui deviennent encore plus puissants et des victimes qui restent des victimes. Il y a un écho politique dans ce documentaire : celui de parler aussi d’une époque, le début des années 1980. En 1981, c’est la victoire de la gauche avec l’élection de François Mitterrand, dont le slogan est « Changer la vie » . Au moment où la Coupe du monde commence, le pouvoir socialiste se perd dans les difficultés économiques et sociales, comme la dévaluation du franc, le blocage des salaires, et quelques mois après ce Mundial, on bascule dans la rigueur. J’aime bien voir à travers ce match-là comme une métaphore, comme une bascule vers la rigueur un peu annoncée par cette double victoire de l’Italie et de l’Allemagne.

Et les équipes d’Italie et de RFA incarnent justement ces mots froids : rigueur, efficacité, réalisme…
Oui. On rêvait de changer la vie. Et la vie ne change pas… C’est le retour brutal à la dure réalité, oui. Il faut se débarrasser des clichés sur l’Allemagne qui, depuis des années, déploie un jeu chatoyant, avec une équipe multiculturelle, etc. Mais en 1982, l’Allemagne est dans les grandes lignes à l’image de sa caricature en incarnant l’ordre. L’Italie, qui a beaucoup évolué aussi dans son jeu, elle était aussi un peu le cliché de la Squadra Azzurra : assez minimaliste dans son jeu, les basses besognes défensives avec Gentile, l’odeur de soufre avec le scandale du Totonero, la condamnation-suspension de Paolo Rossi… Le casting ne pouvait pas être plus parlant : les gentils et les méchants ! (Sourire.) D’un côté, le Brésil et la France, pleins de fraternité, avec un grand humaniste comme Michel Hidalgo. Et de l’autre côté, les méchants Italiens et Allemands. C’est comme ça qu’on les voyait… Comme le dit dans le documentaire le sociologue allemand Albrecht Sonntag : « Le foot est plus fort que le cinéma hollywoodien. Car, oui : les méchants peuvent gagner à la fin ! » Et 40 ans après, cette défaite des gentils résonne à mes yeux avec puissance…

Et le casting des joueurs : Bossis, Trésor, Genghini, Battiston, Ettori, Giresse. Pourquoi eux six ?
Parce qu’ils ont joué un rôle clé à Séville. Jean-Luc Ettori, à la base, est celui qui ne devait pas être invité. C’est sur les conseils d’Ivan Ćurković, l’ex-grand gardien de Saint-Étienne et coach des gardiens au Mundial, qu’Hidalgo, qui séchait sur ce poste entre Castaneda, Baratelli et Ettori, avait choisi Jean-Luc pour le tournoi. Ettori incarne cette Coupe du monde des Bleus justement parce qu’il n’y jouera que durant cet été : il arrive avec seulement une sélection et il ne reviendra qu’une fois après ce Mundial. Il a été constamment critiqué et contesté tout au long de la compète. Il y a ensuite les deux buteurs de la prolongation : Trésor, la clef de voûte, le grand ancien déjà là avant Hidalgo, et Giresse, qui est toujours resté traumatisé par Séville, qu’il l’a mémorisé dans ses moindres détails. Et qui en plus exprime très, très bien ses émotions. Max Bossis, celui qui restera éternellement comme le dernier tireur et qui rate son tir au but. Bernard Genghini parce qu’il a eu à suppléer Michel Platini lors de son absence contre l’Autriche et parce que son but lance la grande aventure du deuxième tour. Et enfin Patrick Battiston. Depuis des décennies, Patrick ne voulait plus du tout reparler de Séville, Schumacher, etc. Pour le documentaire, il a accepté de revenir sur ce qu’il avait décidé d’enfouir en lui. Côté allemand, on avait pensé à plusieurs joueurs, oui. Mais on s’est fixé sur Harald Schumacher, que lui. C’est une interview forte : dans le docu, il se livre peut-être comme jamais.

« Schumacher est-il sincère en racontant l’action, en disant qu’il cherche à jouer le ballon ? En tout cas, il l’est vraiment quand il dit : « Je ne me pardonnerai jamais l’attitude que j’ai eue juste après le choc avec Battiston. »  »

On voit même un Schumacher new-look, en chemise blanche, épanoui comme un cadre sexagénaire de Microsoft. Rien à voir avec l’affreux Schumacher de Séville, moustachu, hirsute, au regard halluciné. Il est même sympa !
Le rencontrer a été un moment étonnant pour moi : à Cologne, chez lui, dans son salon, à boire un thé avec son épouse… Il y avait un côté lunaire : si on m’avait dit, plus jeune, que je rencontrerais l’homme le plus haï de France ! Je le lui ai dit, d’ailleurs, au début de notre entretien : « Les gens avaient un peu peur pour moi à l’idée de vous rencontrer ! » Ça l’a fait sourire. Son témoignage est assez touchant. Est-il sincère en racontant l’action, en disant qu’il cherche à jouer le ballon ? En tout cas, il l’est vraiment quand il dit : « Je ne me pardonnerai jamais l’attitude que j’ai eue juste après le choc avec Battiston. »

C’est d’ailleurs un des moments forts du documentaire : on a deux gardiens qui culpabilisent encore, 40 ans après… Ettori pour son mauvais Mundial et Schumacher pour son agression sur Battiston…
Oui, les témoignages de Schumacher et d’Ettori sont très forts, très touchants. Jean-Luc Ettori est resté un homme blessé, 40 ans après. Il se reproche encore deux choses : sa prestation globale au Mundial et son inefficacité lors des tirs au but… Il le dit : « Je n’y étais pas. J’avais rendez-vous avec le destin et je n’y étais pas. » On a quand même vécu un moment historique : les tirs au but, c’était une première en Coupe du monde ! Imagine s’il avait qualifié la France pour sa première finale… Et 40 ans après, il s’en veut encore tellement, tellement. C’est frappant.

Mais toi, Hervé, tu as joué gardien de but au foot…
Oui, j’ai une affection particulière pour les gardiens. Donc quelque part, c’était comme une évidence de se focaliser un peu sur Ettori et Schumacher. Tiens ! Au moment de notre rencontre, Schumacher s’était beaucoup renseigné, avant, sur moi : il savait plein de choses. Et que j’avais été gardien, entre autres ! C’est comme ça que la prise de contact s’est déroulée : « Alors, vous aussi, vous êtes gardien de but, hein ! »

Est-ce qu’il existe, oui ou non, des images de ce fichu tir au but raté par Didier Six ?
Oui. Elles existent. Je les ai vues une fois dans un documentaire allemand. C’était une caméra placée au niveau de la pelouse. Retrouver et ensuite exploiter ces images auraient posé des problèmes de droits dont on ne voulait pas. Trop compliqué ! Et puis comme Schumacher le dit lui-même : « On n’a jamais vu les images de ce péno ! » Alors on a voulu rester sur ce souvenir : ce moment fugitif où Littbarski console Stielike avant, soudain, que le réalisateur TV revienne sur l’action où on comprend que Six vient d’échouer. C’est ce qui rend aussi ce traumatisme de Séville encore plus fort, on s’est senti trahi par Six, comme s’il avait fait ça dans notre dos. (Sic) On a toujours cette impression qu’il s’est précipité. Tout ce traumatisme a été aussi amplifié justement par la réalisation TV incroyable qui manque ce moment-clé. Alors, voilà : plutôt que se décarcasser à retrouver les images, on a voulu rester sur cette frustration. Ce péno non filmé parle aussi de la télé d’avant, où rater ces images cruciales était possible. Aujourd’hui, en 2022, non, c’est impossible !

« Les petits du foot sont persuadés qu’ils n’ont jamais de chance et ils se focalisent toujours sur la chance qui est passée. À la Coupe du monde 2018, c’était au tour des Belges et des Croates de vivre ce qu’ils pensent avoir été une grande injustice contre la grande, la France, en demies et en finale. »

Pourquoi, sur l’action du choc Battiston-Schumacher, on regarde toujours éternellement, invariablement, le ballon qui passe à quelques centimètres du poteau ?
C’est la force du but, ces cages qui attirent notre regard. Oui, tout le monde a suivi le ballon, y compris le cameraman en plan large, les joueurs, les arbitres de jeu et de touche. « L’attentat » de Schumacher, on ne l’a vu qu’après, au ralenti. On est même un peu surpris de l’étonnante passivité des joueurs français quand Battiston est à terre. La dramaturgie de cette action, Schumacher a tellement de retard… et la balle qui file : est-ce que c’est ce but qui va envoyer l’équipe de France en finale ? Et elle s’en va mourir si près du poteau, en sortie de but. C’est terrible… C’est ce genre d’action qui collait parfaitement aux croyances de l’époque : « On est maudits ! » Car nous, les Français, on était les petits du foot. Et les petits du foot sont persuadés qu’ils n’ont jamais de chance et ils se focalisent toujours sur la chance qui est passée. Dans les années qui ont suivi, longtemps après, les choses se sont inversées : à la Coupe du monde 2018, c’était au tour des Belges et des Croates de vivre ce qu’ils pensent avoir été une grande injustice contre la grande, la France, en demies et en finale… Reste qu’à Séville, très objectivement, on a vraiment vécu des injustices : l’attentat contre Battiston, sanctionné ni d’un jaune ni d’un rouge, plus les deux énormes fautes flagrantes sur Giresse et Platini qui débouchent direct sur le but du 3-2 de Rummenigge. Et un truc complètement passé inaperçu qu’on n’a pas pu laisser au montage : un but de Rocheteau en seconde mi-temps parfaitement valable, mais annulé, car il est à lutte avec un Allemand, et l’arbitre siffle faute offensive alors qu’il n’y a rien…

Finalement, qu’est-ce que ce France-Allemagne 1982 t’a appris en tant qu’homme ?
La rencontre avec l’injustice. Là, c’est l’injustice institutionnelle. Ça m’a appris que dans la vie, être méritant, faire du beau, être « gentil » ne conduisent pas toujours à la récompense. Et que les dieux du football choisissaient les « méchants » … C’est une leçon d’autant plus forte quand elle survient alors qu’on est jeune. J’y ai vu comme une sorte de métaphore d’une époque : les romantiques ont-ils encore une place dans ce monde et sont-ce les plus durs qui triomphent toujours à la fin ?

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« J’ai connu le bonheur de voir la France championne du monde, deux fois. Mais la France championne du monde en tant qu’enfant ou adolescent, ça je ne le verrai jamais. »

Est-ce que la victoire de France 1998 a permis de cicatriser ta blessure de 1982 ?
Non. Comme je le raconte dans le documentaire : Séville reste le souvenir foot le plus douloureux, et le plus beau, de mon existence. Une demi-finale de Coupe du monde, c’est grandiose : tu le vis plus intensément quand tu es enfant, ado, ou jeune homme, que quand tu es un adulte, et d’autant plus comme journaliste sportif. Gamin ou jeune homme, quand ton équipe gagne, c’est plus puissant qu’une victoire en tant qu’adulte ! C’est le plus beau cadeau de la vie de vivre ces émotions victorieuses, enfant. Aujourd’hui, en 2022, oui, la France peut être championne du monde. Comme elle avait aussi en 1998 de bonnes chances de l’être. C’est envisageable, probable. Mais en 1982, quand on part en Espagne, à aucun moment on n’imagine aller en finale et même en demi-finales : c’était plus qu’un rêve. Et on en a été privés inexorablement… J’ai connu le bonheur de voir la France championne du monde, deux fois. Mais la France championne du monde en tant qu’enfant ou adolescent, ça je ne le verrai jamais.

Affectivement, tu te sens donc plus France 1982 avec Platini qui ne gagne pas la Coupe du monde, que France 1998 avec Zidane sacré à Saint-Denis, c’est ça ?
Oui. C’est une question de nostalgie, une question d’âge. J’étais bien sûr heureux en 1998. Mais, question émotions foot, les victoires sont plus belles au moment de l’enfance. Vivre sa première Coupe du monde, en tant que gamin : le monde qui s’ouvre devant nous, un paradis à trois matchs par jour. Le rêve ! J’imagine le gamin de 9 ans, supporter de Bodø/Glimt et qui a vécu les exploits récents de son club en coupes d’Europe, le 6-1 contre la Roma : le môme, il va s’en souvenir toute sa vie ! On préfère toujours l’équipe de son enfance, on est toujours nostalgique de ses premières émotions plutôt que de celles avec les équipes suivantes.

On a beaucoup dit que ce France-Allemagne avait acté la fin des utopies politiques en France avec le fameux tournant de la rigueur qui lui a succédé. Avec, en ombre portée, encore, la grande Allemagne, surpuissante aussi économiquement, réaliste, efficace…
Je me suis penché sur cette problématique et je n’ai pas été suivi par les sociologues, historiens et autres intellectuels, dont certains témoignent dans le documentaire. Ils estiment qu’il existe, oui, au mieux, une collusion de calendriers, mais qu’il ne fallait sans doute pas faire dire à un match de football plus qu’il ne veut bien signifier. J’en prends acte. Mais à travers les nombreuses archives que j’ai consultées, des thématiques surgissent souvent, comme celle de la montée de l’argent dans le foot, le marketing, le foot-business. On fait constamment allusion à l’argent quand on interviewe des footballeurs. Cette omniprésence de l’argent et cette défiance qui s’y manifeste témoignent en filigrane d’une valeur qui monte inexorablement : celle du fric dans la société française en général. Alors, d’accord, il n’y a pas de cause à effet du football au sociétal à travers ce France-RFA, mais il y a quand même une correspondance, un effet miroir entre les deux. Le foot, c’est lié au politique, au culturel. Le jeu d’un pays reflète en partie son peuple.

1982, c’est aussi le début du Sida… Une décennie débutée dans l’utopie et qui vire anxiogène.
Oui, c’est vrai. Avec le Sida, c’est la fin d’une certaine liberté des mœurs, d’une certaine insouciance.

Comment tu imagines une finale France-Brésil 1982 ?
Ben, ça aurait été la finale idéale, le rêve… Quand tu penses à 1998, les Bleus étaient vernis : Coupe du monde à la maison et finale contre le Brésil ! En plus, c’est le Brésil, et même au Stade de France, tu as le droit de perdre, on ne t’en voudra pas. En 1982, c’est les Brésiliens de l’Europe contre les Brésiliens de l’Amérique du Sud ! On aurait perdu, je pense, parce qu’on était vraiment diminué. Genghini était blessé, Platini et Rocheteau quasi forfaits. Allez ! Je dirais 3-0 pour le Brésil, comme le pendant du 3-0 de 1998, pour la revanche !

Propos recueillis par Chérif Ghemmour
Titre : Les Beaux Perdants
Durée : 1h28
Réalisateurs : Hervé Mathoux et Stéphane Darmani.
Images montage : Mickey Mahut (fils de Philippe Mahut. Le film est dédié à son père.)
Date de diffusion : le samedi 19 novembre à 21h sur Canal +



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